Rencontre avec le réalisateur et scénariste belge David Lambert, alors que son troisième long métrage, Troisièmes Noces, sort ce mercredi sur les écrans belges.
Quelles sont les origines du projet?
J’ai lu le texte de Tom Lanoye à un moment où il faisait écho à ce que je vivais dans ma propre vie. Je l’ai découvert grâce au Festival de l’intime de Benoît Poelvoorde. J’ai passé un week-end à le lire, j’étais mort de rire et en même temps très ému. Le texte décrivait toute une série de situations que j’avais connues, enquête de police comprise! Deux mois après je rencontrais Tom Lanoye au Festival de Gand à l’occasion de l’avant-première de Je suis à toi pour lui demander qu’il me fasse confiance, ce qu’il a accepté d’emblée.
Comment s’est faite l’adaptation?
Tom et moi, nous voulions faire un film qui dépasse les frontières linguistiques, toucher les deux communautés. Je lui ai dit que j’allais le trahir mais le respecter, car je devais faire mon film. C’est vraiment une lecture du texte, pas une adaptation pas à pas.
J’avais déjà essayer d’adapter un autre texte mais cela n’avait pas abouti. Il y a parfois des choses qui s’imposent à vous, vous lisez un texte, et puis c’est tellement génial, vous voyez déjà tellement le film dès la lecture… J’ai toujours beaucoup lu, j’ai fait des études de lettres, c’est la première fois que je m’empare d’un texte, et c’est un sentiment très jouissif.
Bizarrement, c’est mon film le moins autobiographique, mes deux autres films puisaient plus dans mon vécu, et pourtant le plus personnel, ce qui est un drôle de sentiment.
Qu’est-ce qui réside au coeur du film selon vous?
C’est l’histoire d’un personnage qui en plein deuil qui se donne une deuxième chance, un sursaut de vie. En même temps, il donne une deuxième chance à Tamara. En fait tous les personnages du film sont dans la deuxième chance quand on y regarde de plus près. Peut-on survivre à la perte de l’amour de sa vie, et si on y survit, qu’est-ce qu’on fait avec la vie qu’on a en mains. Qu’est-ce qu’on va laisser aux générations futures? Et tout ça est une comédie, bien sûr! (rires)
C’est justement un changement de ton pour vous, comment l’avez-vous abordé?
C’est une comédie certes, mais une comédie dramatique. Tendre et dramatique. La comédie, c’est un long parcours pour moi, quelque chose de presque difficile à assumer. Dès la projection de Hors les murs à la Semaine de la Critique, pendant la première partie du film, les gens ont beaucoup ri, parfois à gorge déployée. Evidemment, le film devient beaucoup plus dramatique dans sa deuxième partie. Pareil avec Je suis à toi lors de la projection à Karlovy Vary, les gens riaient à des moments pour le moins inattendus. Et beaucoup de gens me disaient: « David, tu as un vrai sens comique, vas-y! » Alors j’ai décidé d’assumer la comédie. C’est plus difficile à faire, mais ça fait du bien au gens. Essayer de garder la complexité du propos et de construire de vrais personnages, tout en faisant rire, c’était le défi.
Bouli Lanners, c’était une évidence?
Dans la première version du scénario, mon personnage n’était pas un ours, mais en rencontrant Bouli, j’ai décidé de retailler un costume sur mesure au personnage. Je trouvais que c’était un beau challenge, à l’écriture pour moi, et au jeu pour lui. On a jamais joué le truc comme une grosse comédie, on a fait exister des situations, et un personnage. On a fait confiance aux situations pour faire rire. On essayait d’être justes, un peu décalés, mais jamais poussifs.
Rachel Mwanza, je l’avais vue dans Rebelle. J’avais été scotché par sa performance. Je connaissais un peu son histoire, et j’ai vite pensé à elle en lisant le livre. Je voulais une actrice qui ne sorte pas du conservatoire, mais de la vie. C’était son deuxième rôle, elle était encore fort dans la spontanéité. Sur le papier, c’est un couple improbable, mais je fais ça dans tous mes films, j’essaie d’opposer deux énergies de jeu qui à la base ne devraient pas être conciliables. Les personnages qui se rencontrent dans mes trois premiers films ne devraient pas se rencontrer, et sont obligés de vivre ensemble. Les dynamiques de jeu d’acteurs sont très différentes aussi. C’est très intéressant en terme de mise en scène, de confronter ces deux polarités.
Le reste s’est fait de manière assez naturelle. Jean-Luc Couchard, c’était une évidence pour moi. Virginie Hocq, je connaissais un peu son travail, j’avais beaucoup ri en voyant ses sketches, et quand j’ai fait le casting j’y ai repensé. J’ai cru qu’elle allait refuser, parce que ce n’était pas un grand rôle, mais elle a tout de suite accepté. Jean-Benoît Ugeux je l’avais vu au théâtre, et dans ce couple de flics ça dépareillait bien, ça créait une belle tension. Et Eric Kabongo, je l’ai rencontré au moment où il était en train de devenir une star en Allemagne avec Bienvenue chez les Hartman. Je l’ai rencontré juste à temps, au moment charnière.
La maison est quasiment un personnage du film…
C’était un gros défi, faire vivre la maison de Martin, une antre, une caverne d’ours, d’autant qu’il y avait presque cette dimension de mise en abyme, vu qu’il est décorateur de cinéma. On a tout travaillé en studio, avec André Fonsny. C’était vraiment une écriture à deux avec le chef décorateur. On s’est demandé comment le décor pouvait incarner le personnage. C’est une maison endeuillée, remplie de détails qui attrapent l’oeil. Le décor a une importance prépondérante, et participe de l’écriture du personnage.
Et puis il y a une guerre de territoire et de coexistence entre les deux protagonistes, sans oublier le fantôme de Jan. Et cette maison est aussi au coeur de la question de la transmission…
Faire un film sur un faux couple, c’est aussi un bon moyen de parler du couple?
Oui, l’imposture permet d’éclairer le réel, une fois qu’on y est, on se met en scène de manière fantasmée, ce qui parle de ce dont on a vraiment envie, de nos frustrations et de nos espoirs.
Ca parle de couple, comme mes deux premiers films. Il y a une continuité thématique. J’ai l’impression d’avoir terminé un cycle avec ces trois films. C’est comme si je clôturais une trilogie sur le couple et la coexistence que je n’avais jamais commencée. Comment exister, être soi auprès de quelqu’un d’autre.
Il y a aussi un message en filigrane sur l’immigration.
Ma volonté était de créer de vrais personnages et pas des migrants caricaturaux en souffrance parce qu’ils n’ont pas de papiers. Je voulais dépasser la statistique, et créer des personnages de migrants qui ne soient pas forcément traités comme des migrants. Qui ont le droit d’être dans un vaudeville, d’avoir de l’humour, de la ruse, des moments de désespoir pas toujours liés à leurs problèmes de papiers. Je voulais offrir ça à ces personnages, parce que je pense que c’est important. Au cinéma, dès qu’il y a un personnage de migrant, même avec les meilleures intentions du monde, il devient LA figure du migrant. Mais tous ces migrants ont des prénoms, des dates de naissance, des spécificités qui devraient les extraire de la caricature. Ce sont avant tout des êtres de chair et de sang, qui ont droit à de vraies fictions, qui dépassent le stigmate de leur absence de papiers. C’était au fondement des personnages de Tamara et Philippe.
Finalement, est-ce qu’on peut vivre seul, dans la vie?
Non, et Martin le démontre bien. Je suis pas toujours d’accord avec lui, mais quand il dit à Tamara « On peut pas vivre seul », je le suis. Notre société loue l’autonomie, l’indépendance. Au final, les notions de partage et de générosité deviennent très cul-cul. Chacun doit faire sa propre vie. Mais ce film raconte ça aussi, la générosité, la transmission, un don qui n’attend pas le contre-don. Des choses qui ont l’air mièvres, mais sont importantes à mettre en scène.
Est-ce que c’est particulièrement difficile de produire une comédie en Belgique?
C’est toujours difficile de faire un film, mais là les partenaires ont vite été convaincus. Par contre après, on a parfois eu des retours étranges: c’est pas assez sérieux, pas assez « festival ». Ca me chagrine un peu. Il y a une sorte d’académisme du film de festival, comme il y a un académisme de la grosse comédie française un peu vulgaire, et j’espère sincèrement qu’il y a moyen de faire quelque chose au milieu, qui trouve un public. Un film ouvert, qui fasse rire, émeuve, raconte des choses intéressantes avec une forme intéressante. Mais peut-être que j’essaie de faire des synthèses un peu complexes, de réconcilier des choses irréconciliables, comme mes personnages, c’est sans doute mon utopie!