Emmanuelle Nicot livre avec Dalva, son premier long métrage, le portrait vivant et émouvant d’une enfant rescapée de l’inceste. Elle filme l’après, comment se reconstruire, et devenir l’héroïne de sa propre histoire.
« Je suis pas une fille, je suis une femme ». Pourtant Dalva n’est pas vraiment une femme, c’est plutôt une poupée. Une poupée grimée, maquillée, costumée par son père, qui en a fait sa petite femme. Une poupée docile, en quête d’amour. Mais Dalva va vers la lumière. Enfant grandie dramatiquement trop vite, elle va se saisir de la deuxième chance qui lui est donnée pour prendre le temps de devenir une femme.
Le film commence en pleine crise. Dalva est enlevée à son foyer, enlevée à son père. Alors on lui donne un autre foyer, où elle va devoir, ou plutôt pouvoir, enfin, être cette fille, vivre cette enfance qu’on lui a volée. La transition est brutale, forcément. Dalva n’est que méfiance et résistance. Le souffle court, elle interroge les adultes taiseux qui lui font face, se demande de quoi on peut bien vouloir la défendre.
Elle est encore actrice du récit édifié par son père, de cette histoire d’amour prohibée. « Mais nous, ça n’a rien à voir », clame-t-elle. Elle vit leur séparation comme une injustice. En lui enlevant son père, c’est l’amour qu’on lui ôte. Il faudra qu’elle soit enfin offerte aux regards des autres, et surtout à son propre regard, pour que disparaisse le conditionnement dont elle a fait l’objet.
Il faudra aussi, et surtout, que le récit fondateur que lui a donné son père soit désamorcé par ce dernier. Lors d’une glaçante confrontation en prison, Dalva comprend que son père ne nie pas les faits qui lui sont reprochés. Son monde s’effondre, pourtant les aveux de son père sont la première étape de sa reconstruction.
Ca tient à un rien, parfois, une émancipation, à une paire de boucles d’oreille qu’on enlève solennellement. L’apparence est au coeur de la vie de Dalva, à la maison, c’est ce qui lui permet de performer ce qu’elle n’est pas, une femme. Au foyer, c’est ce qui lui permettra de reconquérir ce qu’on lui a confisquée, son enfance, et son adolescence. Les vêtements achetés par son père la définissaient. Ceux qu’elle va s’acheter seule, avec le concours de son éducateur, lui permettront de se libérer. Comme la veste prêtée par Samia , la jeune fille dont elle partage la chambre, qui va devenir une amie, lui permettre d’être vue autrement que comme une poupée, et l’aider à pousser la porte vers une nouvelle vie.
Le film interroge en passant le rapport à la féminité quand on a 12 ans. Alors que Dalva est dans une hyper féminité induite par le comportement de son père, Samia elle refuse toute féminité, rejetant ainsi le spectre de sa mère, qui vend son corps de femme pour vivre.
Si Dalva commence par le drame, convoquant le crime ultime de l’inceste, le film est pourtant une trajectoire de reconstruction, et même d’invention. Dalva tend vers la lumière, et effleure enfin l’insouciance. Emmanuelle Nicot se penche sur l’après, sur la réparation. Ici ce n’est pas tant la parole qui sauve, que la ré-appropriation du corps. Ce corps, c’est aussi celui de Zelda Samson, la jeune comédienne qui incarne Dalva.
Emmanuelle Nicot a une belle expérience dans le casting sauvage. Déjà dans son court métrage A l’arraché, le récit était magnifié par la performance de la jeune actrice découverte pour l’occasion, Hajar Koutaine, d’ailleurs lauréate du Prix d’interprétation au FIFF. Filmée en 4/3, au plus près, souvent de dos, Zelda Samson prête son énergie bouillonnante, d’abord rebelle puis de plus en plus lumineuse à Dalva, enfant contrariée qui se voit enfin offrir le temps de découvrir l’adolescence à son rythme. Face à elle, Fanta Guirassi crève elle aussi l’écran, en amie revêche mais fidèle.