Ce mercredi, sort sur les écrans belges Couleur de Peau : Miel. Une apothéose pour ce projet de très longue haleine, atypique et d’une folle ambition; un long métrage qui mélange images live et animation sur un thème délicat et crucial : l’adoption. Il est l’œuvre de deux réalisateurs : le documentariste Laurent Boileau s’est associé à l’auteur de bandes dessinées Jung. Qui a ici adapté un de ses livres.
En France, Couleur de Peau : Miel est visible dans les cinémas depuis quelques jours déjà et Le magazine Première y a vu « Un kaléidoscope de sensations et d’humeurs dont la poignante mélancolie renvoie au travail d’un Isao Takahata (« Le Tombeau des Lucioles », « Pompoko ») ». Carrément. Christophe Narbonne, qui a rédigé cette critique, n’est pas le seul à s’enthousiasmer puisque ce week-end, au festival du film d’animation d’Annecy, Couleur de Peau : Miel a remporté deux prix : le Prix du public et le prix Unicef.
Né en 1965 à Séoul, Jung a été adopté en 1971 par une famille belge. Il est l’un des 200.000 enfants coréens disséminés à travers le monde depuis la fin de la guerre de Corée. Comme son livre, le film revient sur quelques moments clés de sa vie : l’orphelinat, l’arrivée en Belgique, la vie de famille, l’adolescence difficile… Il raconte les évènements qui l’ont conduit à accepter ses mixités. Le déracinement, l’identité, l’intégration, l’amour maternel, tout comme la famille recomposée et métissée, sont autant de thèmes abordés avec poésie, humour et émotion…
Le premier tome de récit autobiographique en noir et blanc est paru en 2007 aux éditions Quadrants. A cette époque, Jung est déjà une star du 9e art, lui qui débuta sa carrière à la fin des années 80 avec quelques courts récits publiés dans Spirou et Tintin. Dès 1991, Jung publia le premier des quatre tomes de Yasuda qui se déroule dans le Japon de l’immédiate après-guerre, encore sous le joug des Américains. On lui doit ensuite La Jeune Fille et le Vent, une série d’heroïc-fantasy qui lui permet de renouer avec ses origines coréennes. En 2001 commence l’aventure Kwaidan (3 tomes) aux éditions Delcourt, déjà traduit dans 8 langues. Couleur de Peau Miel suivra Okiya, un conte érotique japonais et sera proposé au public en même temps que le premier volume de la trilogie Kyoteru. Jolie bibliographie, non?
L’idée d’adapter au grand écran cette histoire autobiographique est née dans l’esprit de Laurent Boileau qui signa plusieurs films documentaires sur la bande dessinée (Franquin Gaston & Cie, Les Artisans de l’imaginaire, Spirou une renaissance, Les Chevaux de papier et Sokal, l’art du beau). Dès la première lecture, il a un coup de cœur. Ce qu’il apprécie particulièrement? Le ton décalé qui évite les effets narcissiques, mais aussi l’humour assez noir qui baigne le récit. Le thème de l’adoption ne le laisse pas indifférent, car ses parents ont recueilli son cousin et sa cousine germaine, orphelins. La notion de la famille recomposée renvoie donc à sa propre expérience. Débute alors un long travail, car Boileau, rejoint en cela par l’auteur, ne souhaite pas se concentrer uniquement sur l’aspect historique du récit. Il veut le nuancer de son point de vue d’adulte, avec pour ambition de faire se rencontrer l’enfant de cinq ans qu’il était et l’homme qu’il est devenu aujourd’hui. De là naquit la volonté de marier live et animation qui deviendra la marque de fabrique du film.
» Adapter une bande dessinée à l’écran est un véritable défi. », note Alain Lorfèvre sur le formidable site internet qui accompagne le film. « Chaque œuvre graphique ayant un style qui lui est propre, sa conversion cinématographique relève à chaque fois du quasi-prototype : si les techniques de base de l’animation demeurent les mêmes, leur mise en œuvre est spécifique au projet concerné. Aujourd’hui, l’évolution des technologies de création et de production dans le domaine des arts graphiques permet, virtuellement, de conférer le mouvement à n’importe quel style esthétique. On peut aussi, comme dans le présent Couleur de peau : Miel, animer des personnages en volume 3D, avec un rendu graphique et chromatique évoquant l’aquarelle. Et ajouter dans le même film des séquences live ou des passages en animation traditionnelle en préservant l’aspect du crayonné. Bref, être le plus proche possible de l’univers esthétique d’un auteur aussi complet que Jung, qui a travaillé main dans la main avec un réalisateur venu du documentaire. »
Le site, parlons-en: il fait aujourd’hui partie intégrante du projet. Et on peut dire que sa réalisation est une vraie réussite esthétique et une mine d’informations.
Le chapitre Making of est un des plus passionnants avec des notes sur le film, un extrait vidéo, des photos du film et esquisses. Mais celui qui suit, sobrement intitulé « Medias », est encore plus alléchant avec les photos officielles, des wallpapers, des extraits et même des scènes coupées que vous ne pouvez visionner qu’ici. En attendant sans doute de les retrouver sur le DVD…
Et le site ne s’arrête pas là. Une fois que vous êtes dedans et qu’il s’affiche en plein écran, vous pouvez faire tourner la roulette de votre souris. Car il y a un étage inférieur qui, lui, se décline de gauche à droite et vous permet de découvrir les différents chapitres de manière totalement interactive, beaucoup plus ludique.
Tout cela est techniquement fort bien conçu et bourré d’idées. La démarche a le mérite de nous plonger au cœur de cet univers dépaysant qui donne le ton du film.
Le bout du chemin est une invitation à rejoindre la page Facebook, constamment alimentée et déjà fort bien achalandée. On n’oubliera pas non plus de visiter le blog qui recèle des tas de petites perles qui raviront tous ceux qui adorent fouiner dans les coulisses de l’art.