Avec Continuer, Joachim Lafosse ouvre son cinéma aux grands espaces des paysages kirghizes, offrant une dimension spectaculaire à l’épopée intime d’une mère et d’un fils étrangers l’un à l’autre, qui cherchent à se retrouver.
Mère égarée par la colère de son fils, Sybille (Virginie Efira) prend les choses en main quand cette violence contenue s’extériorise soudain. Elle emmène Samuel (Kacey Mottet-Klein) au coeur des plaines et des montagnes du Kirghizistan pour une randonnée équestre au long cours, comme pour le dépayser, l’extraire d’un territoire où seule l’agressivité envers les autres lui permet d’exprimer sa souffrance.
Sybille et Samuel ne se parlent plus, ne se touchent plus, c’est tout juste s’ils se voient encore. Leur façon de se mouvoir, de se tourner autour sans jamais se toucher relève presque du ballet tant ils semblent s’éviter. Leurs chevaux, compagnons d’aventure, semblent être le seul trait d’union qui subsiste entre eux. Alors qu’ils partagent le plus étroit des liens, ils sont comme étrangers l’un à l’autre.
Sybille et Samuel ont un lien à renouer, et des masques à laisser tomber. Samuel, surtout, dont la quête d’identité semble passer par une vision de la virilité qui exclurait tout recours au féminin, à commencer par la figure de la mère. Mais tout comme Samuel, adulte en devenir, doit dépasser sa seule condition de fils pour trouver sa place dans le monde, il doit aussi faire le lien entre sa mère et la femme qu’il voit évoluer au fil des jours et de l’aventure. C’est peut-être en se voyant au travers du regard des autres qu’ils vont apprendre à se regarder à nouveau, sous un nouveau jour.
Le cadre et la lumière, somptueux (le réalisateur retrouve son chef opérateur attitré, Jean-François Hensgens), contribuent à dessiner une épopée de l’intime, un huis clos en plein air à la recherche de cette quête ultime, rencontrer l’autre, qui ne peut se faire que lorsque l’on s’est trouvé soi-même. Dans ce contexte, la mère représente pour Samuel l’altérité première. Réparer le lien qui les unit constitue un préalable pour être (apaisé) au monde.
Habitué des films âpres et anxiogènes, des films d’intérieur exposant des familles dysfonctionnelles, Joachim Lafosse « aère » son cinéma, le confrontant aux grands espaces des montagnes kirghizes. Ainsi l’intime y devient spectaculaire, le récit minimaliste de la rencontre entre une mère et son fils s’avère aussi épique que contemplatif. Il invite le spectateur à prendre la place (et le temps) du voyageur. Un voyage aussi bien intérieur qu’extérieur, forcément inattendu, où la rencontre n’est pas tant celle d’un pays inconnu que d’une histoire familiale en train de se réécrire.
Virginie Efira, héroïne déterminée, fragile et vaillante de ce western familial qui se joue sous nos yeux, est d’une justesse sidérante, exposée comme un radeau en pleine mer aux coups de boutoir de son fils en colère. Kacey Mottet-Klein quant à lui excelle à offrir profondeur et nuance à l’agressivité butée et la souffrance intense de Samuel.
Continuer est d’adapté d’un roman de Laurent Mauvignier, roman découvert parallèlement par l’actrice (vue récemment dans une autre adaptation, Un amour impossible de Catherine Corsini d’après le livre de Christine Angot) et le réalisateur, passion commune qui fait le lit de cette collaboration inattendue qui remplit ses promesses.
Le film, qui sort demain en France, sortira sur les écrans belges le 30 janvier prochain.