Cinéma belge: le blues des cineastes

Le discours enfle depuis début février…

A la veille des Magritte, Guillaume Senez revenait dans une interview au Soir sur les difficultés financières inhérentes à la vie d’un réalisateur en Belgique (francophone), notamment en raison des lois discriminatoires qui interdisent de cumuler les allocations chômage du statut d’artiste et les droits d’auteur au-delà d’un certain seuil. Même s’il est toujours difficile d’évaluer des chiffres sans en connaître le contexte, au-delà de 4600€ par an, les auteurs doivent rembourser les droits perçus s’ils prestent leur statut d’artiste – soit leur assurance chômage qui leur permet de compenser les périodes sans travail OU de développement induite par leur métier, la base de l’intermittence. Concrètement, un réalisateur comme Samuel Tilman, documentariste chevronné, et dont le premier long métrage, Une part d’ombre, est sorti en salle en mars dernier, reçoit entre 1300 et 1400€ mensuel de statut d’artiste, déclarait-il ce matin dans Matin Première. Au-delà de 350€ de « loyer créatif » mensuel (soit les droits d’auteur), il doit rembourser. Et souligne qu’il n’y a pas de loi discriminatoire similaire pour les loyers immobiliers par exemple!

 

Dessin de Kroll au lendemain de la large victoire de Guillaume Senez aux Magritte pour « Nos batailles »

 

Résultat des courses, les réalisateurs de longs métrages ont tout intérêt à adhérer au statut d’indépendant pour pouvoir toucher les droits relatifs à leur travail, mais ce statut ne peut qu’être éphémère. Sachant qu’un cinéaste gagne en moyenne 20.000 à 30.000€ pour un long métrage, et que c’est le chiffre d’affaire moyen qu’il faudrait générer annuellement pour tenir à flot une société ou un statut d’indépendant, si l’on garde à l’esprit que l’on réalise un film tout les 3 à 4 ans (dans les meilleurs cas), il est en faillite deux ans sur trois. La phase d’écriture et développement, indispensable à la création, est très peu voire pas financée. L’apport des droits d’auteur s’avère donc crucial dans ces périodes d’émergence des projets. Le réalisateur ou la réalisatrice en arrive donc à devoir jongler entre statut d’artiste (le temps de la création) et statut d’indépendant (l’année de la sortie du film), mais pour combien de temps?

 

L’Association des Réalisatrices et Réalisateurs de Francophones de films (ARRF), emmenée notamment par Guillaume Senez, Samuel Tilman ou Guillaume Malandrin, et d’autres instances comme la SACM ou la SACD, ont donc décidé d’interpeller les différents partis politiques via une lettre commune pour proposer une modification de la loi, et éviter la précarisation toujours plus dure des jeunes auteurs et autrices. D’autant que la culture représente 4,8% du PIB en Belgique, et que c’est le 3e pourvoyeur d’emploi en Europe. Cet encadrement légal de la rémunération des créateurs se double d’un manque de reconnaissance, public et médiatique, ou à tout le moins d’une fierté engagée pour les créateurs belges. Ce n’est pas un hasard si nombre d’artistes belges s’exporte en France pour développer leur carrière. Ce n’est pas seulement une question de taille du marché, mais aussi d’accueil réservé à leur talent.

 

Aujourd’hui, les artistes, auteurs et autrices, cinéastes, musiciennes et musiciennes, scénaristes, lancent avec urgence et conviction le débat pour pousser les politiques à imaginer un nouvel encadrement de leur rémunération, pourquoi pas en imaginant un statut mixte entre le recours aux allocations chômage et l’indépendance en fonction des étapes de développement des projets portés par les créateurs, ou encore une élévation du seuil de remboursement des droits d’auteur, et globalement, à une rationalisation du statut d’artiste, plus adapté à la réalité du terrain. Pour que vivent les talents et le cinéma belges.

 

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