Christ Bill*

Ce n’est pas le film le plus consensuel qui soit. Sur le fond, c’est un film dérangeant. Sur la forme, il l’est encore sans doute, un peu plus. C’est en partie pour cela qu’Au Nom du Fils a retenu notre attention dès que nous l’avons découvert. C’était à Namur, en septembre dernier et signe de sa force, de nombreuses séquences étaient toujours gravées dans notre esprit six mois plus tard alors que nous ne l’avions pas encore revu.

Même (surtout) en y regardant de près, on a de la peine à trouver un angle d’attaque qui ne soit pas saillant.

 

 

 

Le pitch? On le résume pour ceux qui n’ont pas trop suivi jusqu’ici : Élisabeth est une mère aimante. Pour elle, sa famille est exemplaire. Elle est la plus heureuse des femmes.  Au sein de sa communauté, elle occupe une place en vue, portée par une foi inébranlable. Alors que la Paroisse doit se serrer la ceinture, Élisabeth accueille dans son foyer le père Achille. La fréquentation au quotidien de cet homme d’église bien sous tous rapports devrait contribuer à élever moralement et spirituellement tous ceux qui habitent sous son toit. Mais secoué par les affres de la vie, son fils ne va pas tarder à tomber sous le charme (l’emprise psychologique) de ce sympathique confesseur en soutane.

 

Ce n’est pas un secret : Au Nom du Fils traite de la pédophilie au sein de l’église et de l’effroyable silence des autorités religieuses qui, pour Vincent Lannoo, confine à la complicité. Mais c’est aussi un sublime portrait de femme, qui voit sa famille imploser et sa vie tomber en lambeaux. Une femme qui, soudain sans repère, va plonger dans une inarrêtable paranoïa vengeresse. Et renaître à la vie. Totalement transfigurée. Exit les clichés, préparez-vous à pas mal de surprises.

 

 

Dérangeant et imprévisible, ce coup de poing cinématographique est orchestré de main de maître par un jeune réalisateur intenable qu’on a cru calmé le temps d’un Little Glory ambitieux, mais plus académique et qui renoue ici avec la folie de ses premiers films, Strass ou Vampires. Un réalisateur qui a creusé son propre sillon et, de film en film, affûté son talent et son métier.

 

Assoiffé d’expériences diverses, workalcoholic notoire, Vincent Lannoo démontre ici qu’il maîtrise son sujet comme peu d’artistes par chez nous. Créateur incendiaire, il sait aussi se mettre au service du travail des autres comme il l’a prouvé en s’investissant dans Six Pieds sur Terre (aka Les Âmes de papier) sur un scénario qu’il n’a pas écrit, mais en s’accompagnant de l’auteur pendant toute la durée du tournage. Écoute, complicité : deux autres de ses atouts.

 

 

Mais, quelles que soient les ambiances qu’il déploie, les thématiques qu’il exploite et la folie qu’il génère, Vincent Lannoo réussit la performance de tracer un sillon personnel. Sans jamais se renier, mais en élargissant constamment sa palette. Tout cela avec une bonhomie et une convivialité revigorante.

 

Vincent Lannoo n’est pas non plus sujet aux effets de mode. Pour ce scénario qu’il a coécrit avec le Québécois Philippe Fallardeau et Albert Charles, il nous raconte l’histoire d’une mère de famille d’une quarantaine d’années. Tout cinéphile sait que la plupart des producteurs ont délaissé ce créneau depuis belle lurette.

 

 

Heureusement pour la merveilleuse Astrid Whettnall qui vit actuellement une ascension vertigineuse, elle a rencontré un réalisateur qui l’admire. Et heureusement pour Vincent Lannoo, il a découvert une interprète d’exception, aussi à l’aise dans les climats intimistes que dans la violence qui lui sert d’exutoire.  Une femme, belle au naturel, qu’on ne verra jamais pleurnicher pour un gros plan (ça existe, si, si, et pas que chez les dames) ou un maquillage mal ajusté. Et qui peut incarner le doute et la force dans une seule scène.

 

Bien sûr, tous ces gens sont un peu dingues: imaginer une déclinaison de Kill Bill avec une bigote qui traque les prêtres pédophiles suppose une dose massive de folie furieuse. Assumer son propos, jusqu’au bout, sans le moindre complexe, réclame une conviction et un courage étonnants. Tout cela en déjouant les préjugés les plus évidents (le curé déviant est vraiment un brave type), mais sans hésiter à renverser un seul tabou.

Très fort.

 

 

Le reste du casting est formidable, rien n’est laissé au hasard, il n’y a pas de fausse note : Philippe Nahon, Achille Ridolfi, Albert Chassagne (la jeune révélation du film), Carlo Ferrante, Zacharie Chasseriaud, l’effrayant Lionel Bourguet (photo ci-dessus), Jacky Nercessian, inquiétant, Gene Baerten, Denis M’Punga qu’on est toujours heureux de croiser…

Tous sont justes, touchants, déjantés ou puissants. Formidablement bien dirigés.

 

Au nom du fils ne plaira pas à tout le monde, ça non. Mais il deviendra une œuvre culte pour certains et un sujet d’excitation cinéphile pour beaucoup.
Que demander de plus quand on est un artiste, un vrai?

 

 

*Le titre de cet article a été imaginé par Charlie Dupont qui nous en a gracieusement cédé les droits pour 99 ans [on note : penser à le changer en avril 2112!]

 

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