Nawell Madani livre avec C’est tout pour moi un premier film surprenant et émouvant, porté par son énergie communicative et son sens éprouvé de la punchline, un auto-portrait romancé, des tours des quartiers populaires bruxellois aux spotlight parisiens
Lila, l’alter-ego romanesque de Nawell Madani, grandit dans les Marolles, entourée de la bienveillance de son père et sa soeur. A eux trois, ils se sont recréé un petit cocon familial après la mort de la mère, aidés par les voisins et voisines qui veillent sur les filles quand le père fait le taxi de nuit. Avec sa soeur et ses copines, Lila partage le même rêve: devenir danseuse, et révolutionner le monde du hip hop. Mais on ne va pas tous au bout de nos rêves. Quand ses copines restent à Bruxelles, Lila lâche tout, son confort, sa famille, pour rejoindre Paris, où elle en est sûre, son obstination portera ses fruits. Seulement la vie parisienne prend vite un tournant inattendu. Elle qui se rêvait chorégraphe cachetonne comme danseuse dans un clip de rap, où elle se retrouve à dandiner des fesses devant des rappeurs concupiscents. Et ce n’est que le début des désillusions. Heureusement au hasard d’une rencontre avec un professeur de théâtre, interprété par François Berléand, elle se révèle corps et âme sur scène et se lance dans le stand-up. Cette fois, sa persévérance hors norme lui permet de trouver sa voie, et le succès en passant. Mais elle doit encore gagner un dernier combat: convaincre son père que son choix est le bon.
Nawell Madani s’est investie corps et âme dans ce projet de film. Ne voulant confier à personne d’autre l’histoire de sa vie, ni à l’écriture, ni à la réalisation, elle se lance directement dans le grand bain en cumulant les casquettes: scénariste, réalisatrice (le film est co-réalisé avec Ludovic Colbeau-Justin), comédienne, elle signe également les (spectaculaires) chorégraphies du film. Dans la danse hip hop comme dans le stand up, l’héroïne est confrontée au machisme crasse de ses congénères, et malgré son talent évident, doit sans arrêt faire et refaire ses preuves. Si les comptes sont réglés avec humour et recul, ils n’en sont pas moins soldés. Nawell Madani arrive au cinéma, après un petit rôle dans Alibi.com, avec la verve et l’énergie communicative de son expérience dans le stand-up et le one-woman show.
Si l’on s’attend à rire dans C’est tout pour moi, en tous cas quand on est client de l’humour de la jeune Belge, on s’attend moins à pleurer, ou du moins à se laisser émouvoir par les relations qui unissent Lila à sa famille proche, son père, chauffeur de taxi, et sa soeur, qui s’éloigne de la danse pour se rapprocher de Dieu – et de l’amour. C’est en grande partie grâce à la direction d’acteur. La réalisatrice entraine dans son aventure une pléiade de comédiens amateurs impressionnants de justesse pour la plupart, avec une mention spéciale pour Mimoune Benabderrahmane, ancien chauffeur Uber qui joue un père veuf déchiré par les aspirations contradictoires de ses deux filles. François Berléand joue le rôle du pygmalion, du passeur qui accompagne de l’ombre à la lumière le jeune espoir. Le film a la vertu de mettre en lumière deux domaines peu vus encore dans le cinéma francophone, celui de la danse hip hop, l’envers du décor des casting, des tournages de clips, et surtout, celui du stand-up. Largement inspiré par le Jamel Comedy Club, le Stand Up Show décrit par Nawell Madani figure un monde de prédateurs où la compétition est on ne peut plus féroce, et où les victimes directes ou collatérales s’amoncellent au bord de la route.
Il y a fort à parier que l’incroyable popularité de Nawell Madani auprès d’un public jeune, qui voit en elle un modèle de réussite, et qui l’acclame et la suit activement sur les réseaux sociaux, devrait drainer du public dans les salles. Les 6(!) avant-premières organisées lors des derniers Films Days et les deux projections namuroises laissent augurer d’un accueil des plus favorables.
Rendez-vous le 29 novembre prochain dans les salles belges!