Nous avons rencontré Caroline Taillet et Martin Landmeters, scénaristes et réalisateurs de la web série La Théorie du Y, inspirée de la pièce de théâtre écrite et mise en scène par Caroline Taillet il y a maintenant 4 ans. Ils nous parlent de la saison 2 de cette web série à succès (plus de 2,5 millions de vues pour la 1ère saison), dont les deux premiers épisodes ont été dévoilés hier.
D’où vient La Théorie du Y à l’origine?
Caroline Taillet
C’est une pièce de théâtre que j’ai écrite et mise en scène il y a 4 ans, que l’on a jouée au Théâtre de Poche notamment et qu’on joue encore. A l’issue d’une représentation, un producteur est venu me voir pour me dire qu’il pensait que la pièce pourrait tout à fait être transposée pour répondre à l’appel à projets de la RTBF sur les web séries qui venait de sortir, et on s’est lancés.
J’ai accepté avec enthousiasme, mais n’ayant aucune expérience du cinéma, j’ai proposé à Martin de travailler avec moi.
On a eu des sous pour faire un pilote, on a été retenus parmi les 4 projets en lice, et on a reçu 100.000€ pour faire la saison 1, qui a rassemblé plus de 2,5 millions de vues! Du coup la RTBF nous a proposé de faire une saison 2…
Et le tout part de la pièce écrite pour mon mémoire de l’IAD… et de ma vie!
Qu’a apporté le format web au projet?
Martin Landmeters
La pièce retraçait la vie d’Anna, de son enfance à l’âge adulte, et Léone François l’interprétait à tous les âges. On a donc dû réadapter l’histoire pour la série, et retravailler les thématiques par rapport à son âge. On a aussi créé un autre personnage qui prend de plus en plus d’importance avec Malik.
Caroline Taillet
L’autre changement de taille, c’est la différence de visibilité évidemment. On passe de 200 personnes à des vues et des commentaires dans le monde entier!
Est-ce de fait qu’on se sent une autre responsabilité, et est-ce qu’on écrit différemment?
Martin Landmeters
A vrai dire en saison 1, on n’a pas eu le temps de se poser beaucoup de questions! On a dû tout faire en 5 mois, et n’ayant aucune expérience en la matière, on a dû foncer tête baissée.
Caroline Taillet
Mais c’est vrai qu’étant donné qu’il existe très peu de fictions qui parlent de ces sujets-là en Belgique et ailleurs, on se sentait une certaine responsabilité en représentant la communauté LGTBQIA+, d’autant que ce sont souvent des sujets assez sensibles, qui demandent aussi l’usage d’un vocabulaire précis, etc.
Il fallait absolument éviter de répandre encore plus de clichés. Ca peut faire un peu peur au début, mais on a fini par se dire qu’on allait déjà représenter ce que nous nous connaissions, nos situations et celles de nos amis.
Mais bon, on ne peut pas plaire à tout le monde, on sait qu’il y aura toujours des critiques, néanmoins on essaie de ne pas dire n’importe quoi, d’autant que l’on passe sur un media très grand public.
D’ailleurs pour faciliter les choses dans la saison 1, notre porte d’entrée dans l’univers LGTBQIA+, était une fille qui au début se considère comme hétérosexuelle, puis se découvre bisexuelle. On ne fait pas une série juste pour parler aux personnes concernées, on veut parler à tout le monde.
L’idée c’est de sortir de l’invisibilisation, et déconstruire les clichés?
Caroline Taillet
Exactement, on est toujours entre les deux, montrer les clichés pour les déconstruire.
Martin Landmeters
On a notamment utilisé les visions d’Anna pour ça, pour montrer les clichés, et les démonter ensuite. On a fait évoluer ça dans la saison 2.
Caroline Taillet
On a effectivement essayé d’inverser des situations pour en montrer la violence. Par exemple, Anna a une vison où dans une soirée, elle se fait agresser par un couple de gays, qui la traite d’hétéro parce qu’elle parle avec un mec. Elle nie, mais les gars utilisent les arguments que l’on entend usuellement dans les agressions homophobes: « C’est contre nature! » « T’as pas honte de faire ça devant tout le monde! » On fait de l’agression homophobe une agression hétérophobe dans son cauchemar, pour retourner la situation.
Comment évolue Anna entre la saison 1 et la saison 2?
Martin Landmeters
Il y a une ellipse entre les deux saisons, elle part à Berlin quelques mois. Elle revient en s’y étant sentie libre, elle a expérimenté des choses, testé sa sexualité avec des femmes. Mais elle se rend vite compte que ça ne va pas être si facile que ça. Elle veut s’investir dans la communauté LGBT, en l’occurence dans un bar lesbien, mais elle s’aperçoit qu’il y a aussi de la biphobie dans le milieu lesbien.
Caroline Taillet
Dans la saison 1, elle devait comprendre sa sexualité, dans la saison 2, elle va devoir l’assumer.
Quel était le plus grand défi de cette deuxième saison?
Martin Landmeters
La principale condition, avec la hausse du budget, c’était d’avoir du temps. Du temps pour écrire, pour s’entourer. On a écrit à trois avec Coline Grando.
Caroline Taillet
On a fait beaucoup d’interviews pour s’inspirer de la vie réelle des gens, ne pas faire n’importe quoi. Prendre du recul aussi. L’idée était de ne plus avoir seulement mon filtre. D’ailleurs, on a décidé de développer le personnage de Malik, qui devient héros de la série à part entière avec Anna.
Cela nous permettait d’aborder un sujet sensible, mais qu’on ne connait pas personnellement, l’homosexualité dans le milieu maghrébin belge, du coup on a rencontré beaucoup de gens pour en parler. On voulait sortir des idées reçues. Le point commun à toutes nos rencontres, c’est le silence, le non-dit. Si on n’en parle pas, ça n’existe pas.
Pour nous, le plus important, c’est montrer, banaliser. Le simple fait de monter des scènes de sexe entre deux hommes ou deux femmes à la télé, c’est déjà important.
Martin Landmeters
Concernant le personnage d’Anna, en saison 1, elle subit beaucoup, elle s’interroge. Evidemment, elle a encore des soucis en saison 2, mais ce qui était important pour nous, c’était de montrer quelqu’un de plus positif, de plus fort. On s’est rendu compte que les jeunes avaient envie de voir des personnages qui s’affirment, pas que des personnes en souffrance.
Caroline Taillet
Au final, pourquoi des spectateurs homosexuels pourraient s’identifier à des personnages hétéros, et pas l’inverse? On mise sur le fait de sortir d’un public de niche, de livrer un récit destiné à tous. Ces histoires concernent tout le monde.