Cannes 2023: rencontre avec les cinéastes belges!

La 76e édition du Festival International de Cannes sera riche d’une sélection belge aussi diverse que singulière, mettant en avant de nombreux talents émergents, qui présenteront leurs premier ou deuxième films au monde entier.

Ce mercredi, les cinéastes belges rencontraient la presse, pour partager leur enthousiasme, et donner un premier aperçu de ces films qu’il nous tarde de découvrir.

En sélection officielle, Baloji dévoilera dans la section Un certain regard Augure, son premier long métrage de fiction, tourné en République Démocratique du Congo, entre Kinshasa et Lubumbashi, un conte ultra-contemporain nimbé d’onirisme et de réalisme magique, porté notamment par le comédien Marc Zinga. On aura l’occasion de reparler du projet très prochainement avec son cinéaste, qui ne pouvait malheureusement être présent lors de cette rencontre.

Le Centre du Cinéma avait convié réalisateur·ices et producteur·ices, pour parler de ces cinq films initiés en Belgique, mais aussi des 3 films étrangers coproduits en Belgique: Les Meutes de Kamal Lazraq (Beluga) à Un Certain Regard, Le Temps d’aimer de Katell Quillévéré (Frakas Productions) à Cannes Première et enfin Vincent doit mourir de Stéphane Castang (GapBusters) à la Semaine de la Critique. L’occasion de souligner l’incroyable vitalité d’un cinéma singulier, qui se construit souvent hors des chantiers battus. Un cinéma qui voit souvent le jour grâce au sacerdoce des équipes, avec le soutien des institutions culturelles, dans ces cas-là, mais face à un marché de plus en plus difficile à convaincre. (voir ci-dessous la liste des coproductions présentes à Cannes, aidées ou pas par le Centre du Cinéma).

Le film de Paloma Sermon-Daï fait partie des projets aidés dans le cadre des aides aux productions légères. Celui de Rosine Mbakam a d’abord été conçu (et aidé) comme un court métrage, avant de trouver son rythme et sa respiration sur le format long. Claude Schmitz, Ann Sirot et Raphaël Balboni se sont tous trois illustré jusqu’ici avec des films hybrides, tournés avec peu de moyens (Lucie perd son cheval et Une vie démente), avant de s’essayer à des productions plus classiques. Augure de Baloji a dû suivre un long chemin productionnel avant de trouver les moyens de son ambitieuse forme.

Toujours est-il que c’est un vent de renouveau, qui souffle sur les cinémas belges, porté par cette sélection dont on appréciera la parité, et la diversité.

En attendant de découvrir les films, leurs auteur·ices nous livrent leurs premières impressions…

Rosine-Mbakam-Cinevox

Rosine Mbakam, Mambar Pierrette (Quinzaine des Cinéastes)

« Pour moi qui ai travaillé avec ma famille sur ce film, c’est incroyable de me retrouver à Cannes à parler de ces histoires que j’ai portées pendant des années.

Je n’ai pas eu envie de faire du cinéma en regardant des films, j’ai eu envie de faire du cinéma en regardant les gens de ma famille. Ce sont leurs histoires, leurs rituels, leurs conflits familiaux ou générationnels qui ont nourri mon imaginaire. Mon rapport au cinéma est lié aux gens, plus qu’à une démarche ou une esthétique. L’esthétique découle de la réalité des gens. Je cherche le cinéma qui leur correspond.

Je suis venue en Belgique il y a 15 ans pour faire des études de cinéma. Ma famille est au Cameroun, on se parle beaucoup par message, cela nous permet de rester connectés, et cela m’inspire beaucoup. Pierrette est une cousine dont je suis très proche. Elle m’avait envoyé des vidéos prises suite à de graves inondations, qui montraient comment elle reconstruisait tout dans sa maison, comme si elle avait oublié le drame, alors que l’eau avait tout recouvert. Cela m’a rappelé des moments d’incertitude que j’ai pu connaître, où il fallait se remobiliser pour reconstruire. Je voulais montrer ça, car j’ai grandi dans cette incertitude. Avec mes parents, on ne savait pas toujours ce qu’on allait manger le soir, mais on trouvait toujours quelque chose, on avait une grande famille, il y avait beaucoup de solidarité. Je voulais raconter aussi ma génération, la vie d’une femme de mon âge aujourd’hui au Cameroun.

Pour moi, le cinéma c’est la vie, et je veux ramener la vie au centre du cinéma, autant dans sa fabrication que dans l’histoire. Pierrette est l’héroïne de cette histoire, mais à travers elle, on devine toutes les autres héroïnes. Sa force, et la solidarité qui l’entoure lui permettent de surmonter ses problèmes.

Le cinéma que j’ai étudié est un cinéma de pouvoir, qui très souvent enferme les gens. En général, quand on écrit une histoire, on essaie à la virgule près de restituer le scénario. Je trouve que cette manière de faire a très souvent enfermé l’Afrique dans des représentations extérieures, ça a appauvri son histoire, son identité. On n’a souvent pas laissé l’Africain ou le noir se développer au-delà de ce qu’on était venu chercher de lui. C’est un cinéma qui a créé des stéréotypes qui ne correspondent pas à ce que je suis en tant qu’Africaine et noire, ni à mon histoire. Pour moi, faire du cinéma, c’est aussi donner l’opportunité aux gens d’être au-delà de ce que je voulais raconter à la base. J’ai écrit l’histoire de Pierrette en m’inspirant de sa réalité, mais je veux qu’elle puisse être au-delà. Dans la manière dont je mets en scène Pierrette, je lui laisse l’opportunité de remettre en question ce que j’ai écrit. Son histoire, c’est elle qui la détient, qui sait ce qu’elle est, au plus profond d’elle.

Comment Pierrette et sa réalité peuvent enrichir ou exploser ce que j’ai écrit? Comment elle et moi pouvons collaborer que que l’histoire soit au plus près de ce qu’elle est? Comment l’énergie circule, comment ne pas plaquer un récit sur les gens, pour qu’ils puissent à leur tour devenir auteur de leur propre histoire? C’est ce qui me passionne, en tant que réalisatrice. En me donnant cette liberté, moi-même je dépasse deceque j’ai imaginé de moi. Je découvre de nouvelles manières de faire et d’être, de me rapprocher au plus près des gens, ce qui me nourrit dans ce que je questionne et recherche.

Je pense que la présence de films africains à Cannes cette année peut nourrir le cinéma occidental, et il en a besoin. Vivant ici depuis 15 ans, j’ai l’impression que le cinéma occidental se parle à lui-même, mais ne parle pas au monde. La confrontation est nécessaire pour faire évoluer les imaginaires et les pensées, déconstruire les choses.

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Paloma Sermon-Daï, Il pleut dans la maison (Semaine de la critique, Compétition)

Cette sélection était une belle surprise, j’étais surtout très heureuse de pouvoir l’annoncer aux ados qui jouent dans le film, c’est tellement excitant pour eux. Et puis c’est un tremplin d’autant plus beau que le film est une production légère, c’est un format inattendu dans ces sélections. On a vraiment hâte de rencontrer le public.

A l’origine, j’avais très envie de parler du lien de famille, d’un frère et d’une soeur. Je sentais qu’il était temps pour moi de parler d’adolescence, et d’adolescence en Wallonie en particulier. Si je me souviens bien, c’est mon producteur qui m’a d’abord parlé de Makenzy et Purdey, que j’avais déjà filmés pour mon film de fin d’études. Et puis j’ai croisé Makenzy à une projection de Petit Samedi, qui m’a dit qu’il avait envie de refaire du cinéma. C’était comme si les planètes s’alignaient. C’est un travail de longue haleine que j’ai mené avec eux. Un an de préparation, de collaboration étroite, c’était très chouette de les retrouver pour faire famille le temps du film.

Le film se passe au bord du lac de l’eau d’heure, une région à la fois très touristique, et très précarisée. Purdey a 17 ans, elle fait des ménages dans un complexe hôtelier. Makenzy, son frère de 15 ans, profite aussi à sa manière du tourisme, il vole les touristes. On les suit lors du dernier été de leur jeunesse, c’est en tous cas le sentiment qu’on a. Deux adolescents qui font face à la précarité, à l’absence, et deviennent adultes avant l’heure. C’est une histoire de plafond de verre aussi, deux jeunes tiraillés entre l’envie de partir, et l’envie de rester ensemble et que les choses redeviennent paisibles.

On détourne un peu les codes du coming-of-age, du teen movie et du film d’été. Il y a tout ça, quelque chose de très solaire, et naïf aussi. Mais on est face à une réalité très dure.

C’est un film caniculaire, tourné dans la foule et le soleil. On était une toute petite équipe, 7 personnes sur le plateau et 2 comédiens. C’était très fluide, on pouvait changer le plan de travail d’un jour à l’autre. On s’est beaucoup amusé, on a improvisé. J’ai le sentiment que le film était écrit aux trois quarts, le reste est improvisé.

Je voulais parler de ces deux adolescents laissés-pour-compte, d’une réalité wallonne qu’on connaît peu je pense, et j’avais envie de donner beaucoup de moi, et de mon adolescence, des gens qui me sont proches. Je voulais que le film soit une claque, ne pas édulcorer, et vraiment, faire vivre ce sentiment de dernier été.

Ann-Sirot-Raphael-Balboni-Cinevox-2023

Ann Sirot & Raphaël Balboni, Le syndrome des amours passées (Semaine de la Critique, séance spéciale)

Ann Sirot

C’est la première fois qu’on présente un film à Cannes, on est très curieux. C’est un rendez-vous important du monde du cinéma, un beau coup de projecteur pour le film, et sa rencontre avec le public. Et c’est très agréable de savoir que le film sera montré avant même qu’il ne soit fini.

Raphaël Balboni

Souvent quand on finit un film, on le soumet d’abord aux grands festivals, il y a tout un circuit, et parfois on attend très longtemps avant de le montrer. Ça dégage la vue sur la carrière du film. Depuis l’annonce, j’ai reçu un très grand nombre de messages, clairement la résonance est énorme, c’est quelque chose que l’on n’avait jamais vécu. On s’est installés à France pour les 4 mois de post-production, après avoir tourné l’intégralité du film à Anderlecht. Et en France il y a pas mal de passion et de frénésie autour du festival!

Ann Sirot

C’est fou parce que c’est vrai qu’on a du mal à épingler le moment où l’idée est apparue. La première fois dont je me souviens que nous en avons parlé, c’était à La Mort Subite. Je nous revois… C’est un projet auquel on pense depuis longtemps, l’historie était claire dès le début, mais on a eu beaucoup de mal à la faire passer, à la partager. On faisait lire, ça n’accrochait pas. Ca a été un long cheminement pour trouver la forme et le ton.

On avait fait des essais filmés, on voyait bien qu’il y avait de la matière, quelque chose de truculent à explorer. J’ai eu un déclic le jour où j’ai pitché le projet dans une voiture à un producteur canadien, qui m’a dit: « Ne pitche plus jamais ce projet, on va te piquer l’idée! »

Raphaël Balboni

Je pense aussi que les gens se demandaient avant Une vie démente si notre style tiendrait la route sur un long métrage. Une vie démente a été une précieuse carte de visite, pour prouver que cela pouvait fonctionner sur la durée.

Ann Sirot

On présente le film comme une comédie romantique qui interroge les codes de l’hétéronormativité dans le couple. Le titre parle de ça aussi, les amours passées, ce sont les ex, mais c’est aussi l’idée de vouloir s’émanciper d’une logique. Comme pour Un vie démente, c’est un questionnement qu’on avait envie de partager avec le public. On a un postulat de départ très fantaisiste, Rémy et Sandra doivent recoucher avec toustes leurs ex s’ils veulent avoir une chance d’avoir un enfant, mais qui va j’espère ramener le public à des situations qu’il connait très bien, des sujets un peu tabou, la fluctuation du désir, l’insécurité. Ce sont des questions qui touchent tous les couples.

Raphaël Balboni

Comme on l’a fait dans nos films précédents, le couple se dit des choses qu’on aurait du mal à dire en vrai, ça nous permet d’aller plus au fond des choses. C’est drôle, et sérieux en même temps. C’est une comédie romantique, mais on essaie de fouiller un peu, d’aller là où ça fait un peu mal.

Ann Sirot

Comme pour Une vie démente, ce qu’on avait vraiment envie de partager, c’est une forme de sensation de l’amour, au travers de la nature problématique de l’existence. On vit des galères, mais il y a beaucoup d’amour à vivre à travers ces difficultés. Notre vendeuse nous a dit: l »a lecture du scénario m’a donné envie d’aimer encore plus les gens qui sont dans ma vie ». Ca nous a beaucoup flattés!

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Claude Schmitz, L’autre Laurens (Quinzaine des Cinéastes)

Je suis évidemment ravi que le film soit sélectionné à la Quinzaine, c’est une très belle sélection , j’espère que ça aidera le film à exister. C’est un peu curieux, parce qu’on finit le montage son, le mixage et l’étalonnage en même temps, on sera prêt à la dernière minute, comme pour une première de théâtre.

J’avais envie de faire un film qui parle de l’effondrement d’un monde. Quand j’étais adolescent, j’ai vu beaucoup de films, alors que j’étais à l’internat. Au début, on nous montrait des films d’auteur, Kurosawa, Ken Loach, pas vraiment des films de notre âge, mais ils m’ont beaucoup marqué. Et puis je suis allé dans un autre internat, où on nous montrait des films de série B, des films américains des années 80/90, avec Chuck Norris, Steven Seagal.

Ces deux types de cinématographies ont constitué une sorte d’imaginaire pour moi, ont sculpté mon rapport au cinéma, et aux Etats-Unis.

Je me souviens que quand j’ai vu les tours du World Trade Center s’effondrer, en 2001, j’avais 20 ans, et j’ai eu l’impression que ce n’était pas seulement les tours qui s’effondraient, c’était aussi tout un monde patriarcal qui était en train de s’effondrer. C’était comme si mon regard critique sur ce monde s’éveillait, sur cette culture qu’on m’avait donnée à voir sans vraiment que je la questionne jusque là.

En gros, ce film est un polar, c’est un gars qui enquête sur la mort de son frère jumeau, mais c’est aussi une enquête sur le cinéma, sur le genre et les genres, sur une sorte de dualité ou de schizophrénie que j’ai pu avoir, entre cinéma d’auteur et séries B. C’est un peu un règlement de compte vis-à-vis de ce rapport au monde qui m’avait été imposé, et surement un peu un hommage aussi. C’est un film drôle et mélancolique à la fois, qui parle d’un monde qui disparait, qui est en train d’être remplacé par autre chose, et c’est très bien.

Le film utilise tous les ingrédients du polar, du film d’action, on a des bikers, des fusillades, des course-poursuites en voiture, des trafiquants de drogue, des flics corrompus, tous ces archétypes, la femme fatale aussi, la jeune fille en détresse. Des archétypes eux-même très genrés, comme si le film de genre était en fait un film genré. Je voulais démonter un peu tout ça. C’est un film transgenre en fait, c’est comme ça que j’aime le définir. Il utilise des ingrédients du polar et du film d’action pour les amener ailleurs.

La fin de ce monde s’ouvre sur un nouveau monde. Le personnage principal, Gabriel Laurens, est un détective qui enquête sur la mort de son frère jumeau. Il est accompagné dans son enquête par sa nièce, une jeune adolescente qui va petit à petit devenir le personnage principal. Je crois que Jade, c’est un peu moi en fait. Je ne me suis jamais retrouvé dans ces personnages masculins stéréotypés. C’est un film qui regarde en arrière, pour parler de problématiques actuelles.

Ce qui m’a guidé pendant cette écriture, c’est une liberté de ton, que j’espère avoir su préserver. J’ai fait des films avec pas grand chose avant ça, dans lesquels j’avais une très grande marge de manoeuvre et le danger, quand on s’embarque sur des projets mieux financés, c’est que la pression est plus grande. Cette liberté, je voulais la garder. Je voulais pouvoir choisir les acteurs, ma méthode de travail. C’est un film hybride, ce n’est pas un polar normal, pas vraiment un film d’action, pas vraiment une comédie, et donc pas évident à financer. Je crois qu’on vit dans une époque où il faut décloisonner, sortir de la question du genre. Emprunter un peu partout, pour créer des formes singulières qui ne ressemblent qu’à elles-mêmes, plutôt qu’appliquer des recettes. C’est la voie que j’ai envie d’explorer en tant que réalisateur.

 

Les coproductions belges sélectionnées à Cannes

De nombreux films coproduits par des sociétés de Wallonie ou de Bruxelles sont par ailleurs sélectionnés dans les différentes compétitions:

COMPETITION OFFICIELLE

  • THE OLD OAK de Ken Loach (Les Films du Fleuve)
  • JEANNE DU BARRY de Maïwenn (Les Films du Fleuve)
  • ACIDE de Just Philippot (Umédia)
  • LA PASSION DE DODIN BOUFFANT de Tran Anh Hung (Umédia)

UN CERTAIN REGARD 

  • LE RÈGNE ANIMAL de Thomas Caillet (Artemis Productions)
  • LES MEUTES de Kamal Lazraq (Beluga Tree)
  • ROSALIE de Stéphanie Di Giusto (Artémis Productions)
  • HOW TO HAVE SEX de Molly Manning (Umédia)
  • RIEN A PERDRE de Delphine Deloget (Umédia)

CANNES PREMIERE

  • LE TEMPS D’AIMER de Katell Quillévéré (Frakas Productions)
  • BONNARD, PIERRE ET MARTHE de Martin Provost (Umédia)

QUINZAINE DES CINÉASTES

  • DÉSERTS de Faouzi Bensaïdi (Entre Chien et Loup)
  • CONANN de Bertrand Mandico (Novak Prod)

SEMAINE DE LA CRITIQUE

  • VINCENT DOIT MOURIR de Stéphan Castang (GapBusters)

ACID

  • LAISSEZ-MOI de Maxime Rappaz (Fox the Fox)

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