Bérangère Mc Neese: écrire et jouer

Copyright: Natacha Lamblin

Rencontre avec la jeune réalisatrice et comédienne belge Bérangère Mc Neese, Magritte du Meilleur court métrage en février dernier pour Matriochkas, qui vient d’être sélectionné pour les César 2021!

Difficile à croire quand on la croise en cette morne journée de novembre 2020, exaltée bien que débordée, mais Bérangère Mc Neese s’apprête à fêter ses 10 ans de carrière. Carrière officielle, car si on l’a vue pour la première fois dans La Chance de ma vie de Nicolas Cuche, c’est enfant qu’elle débute devant la caméra dans une pub Barbie. Le rêve, à l’époque, pour une petite fille qui rêve de jeu, et de jouer. Il faut dire que chez les Mc Neese, être artiste, c’est une histoire de famille, presque une évidence.

Cette année 2020, défiant toutes les prévisions sanitaires, s’est avérée tourbillonnante pour la jeune comédienne et réalisatrice, qui a enchaîné les tournages, devant et derrière la caméra. Alors qu’elle s’apprête à appuyer le bouton pause (enfin, par pause, elle entend « se remettre à l’écriture de son long métrage ») après avoir achevé en parallèle le montage d’un documentaire pour Canal + et des trois épisodes de Baraki qu’elle a réalisés pour la RTBF, elle vient d’apprendre que son 3e court métrage, Matriochkas, faisait partie de la shortlist des César.

Le moment idéal donc pour faire le point avec elle sur son parcours atypique, devant et derrière la caméra.

D’où venez-vous Bérangère?

Je viens d’ici! Je suis née à Bruxelles, d’une mère belge et d’un père américain. Je suis partie assez tôt, juste après mes études secondaires, habiter à Paris, où j’habite toujours la moitié de la semaine. Et si je devais situer ma famille, je dirais que c’est une famille d’artistes, un peu hippie…

Comment les choses ont commencé pour vous?

J’ai commencé par prendre des cours de théâtre quand j’étais petite, et un jour une directrice de casting, Valérie Bette, est venue dans ce cours car elle cherchait des petites filles pour une publicité Barbie. J’ai eu le casting, et ça a été une révélation pour moi: c’était la meilleure journée de mon existence, déambuler sur un podium fuchsia, j’aurais voulu faire ça toute ma vie (rires)!

Ensuite j’ai continué à tourner, à faire des pubs, des courts métrages. J’ai vite compris que le métier n’était pas forcément « barbiesque » tous les jours, mais qu’en tous cas c’était fun, et que c’était ça que je voulais faire, d’où mon départ à Paris. Je tournais toujours, et en parallèle, je faisais des études de journalisme, ça m’intéressait, et je voulais élargir mon horizon.

J’ai suivi quelques cours de théâtre à l’époque, mais je trouvais qu’il y avait quelque chose d’un peu claustrophobe dans tout ça, un peu trop d’entre-soi, je voulais diversifier mes expériences. A la fin de mes études, je me suis rendu compte que c’était trop étrange comme vie de n’être que tributaire du désir de quelqu’un d’autre… C’est à ce moment-là que je me suis mise à écrire et réaliser.

Dans « Eyjafjallajökull », avec Dany Boon, et Valérie Bonneton

 

C’est venu comment à l’origine, cette envie de devenir actrice?

En fait, ma famille paternelle est vraiment une famille d’artiste. Ma grand-mère paternelle est comédienne. Elle vient du Kentucky, mais elle a vécu tout un temps à New York où elle était mannequin et comédienne. J’ai une véritable adoration pour cette femme, c’est mon héroïne. Elle a eu 6 enfants, et tous ses enfants sont musiciens, peintres, comédiens… Du coup, vouloir être acteur, ça n’a jamais été considéré comme folklorique dans ma famille, cela n’avait rien de rock’n’roll. J’ai assez tôt su que je voulais faire ça.

C’était évident pour vous que ce serait votre métier, que vous pourriez en vivre?

Enfant, quand on me demandait ce que faisait mon père, et que je répondais qu’il était bassiste, on me disait: « Oui, mais comme métier, il fait quoi? » Alors que moi, j’ai toujours su qu’on pouvait vivre en faisant de l’art. En revanche, c’est vrai que j’ai une grande phobie quand il s’agit de fermer des portes, et que j’ai toujours fait plein de choses en même temps, quitte à ce que ce soit n’importe quoi. J’ai fait l’université alors que je n’ai jamais vraiment voulu être journaliste, c’est juste que ça m’intéressait.

Ca toujours été limpide pour moi que je travaillerai dans ce milieu. J’ai très tôt fait des doublages, des voix, ça a très vite été très concret. Il m’est arrivé de faire des petits boulots à côté, mais il m’est très vite apparu que c’était ça que je voulais faire.

Le fait d’avoir envie, ou besoin d’écrire, c’était donc une façon de trouver un équilibre entre désirer comme autrice, et être désirée en tant que comédienne?

Oui, carrément. J’avais envie d’écrire des histoires qui m’intéressaient, et le medium que je connaissais le mieux pour les raconter, c’était le cinéma. Et puis sur le plan pratique, c’est vraiment très étrange d’être comédien·ne, c’est très aléatoire. Et ce n’est pas l’instabilité qui me fait peur, la routine est quelque chose qui m’angoisse beaucoup plus, mais c’était plutôt la peur de devoir accepter des projets dans lesquels je ne me sentirai pas bien, ou à ma place. Etre tributaire des autres, de leur regard, de leur désir, c’est déjà très difficile, mais en plus en faire une carrière…

Je ne voulais pas subir. Cette situation, c’est un peu fun quand tu as 20 ans, ça passe encore à 25, à 30 ans ça l’est déjà beaucoup moins. Pour les comédiennes, passées un certain âge on a souvent moins de travail, et je voulais m’en protéger. Et puis j’ai découvert en le faisant que raconter ses propres histoires, c’est vraiment génial, c’est incroyable.

« Le Sommeil des Amazones »

 

Qu’est-ce qui vous a le plus marquée dans votre première expérience d’écriture et de réalisation, Le Sommeil des Amazones?

Il y a deux choses. Côté fabrication, c’était un peu maboul, car je n’avais jamais rien réalisé. Mon ami Olivier Boonjing, qui est chef opérateur, m’avait dit: « Si tu écris quelque chose, on le réalise ». Et il a tenu parole, en rameutant dans l’équipe des amis à lui, un ingé son, un premier assistant, un monteur, et soudain, je me suis retrouvée avec une équipe qui s’est attelée à faire mon film! Ca me semblait absolument surréaliste.

Aujourd’hui encore à chaque premier jour de tournage, quand l’équipe débarque sur le plateau, il y a toujours une sidération de voir que tout le monde est là pour mon film. C’est complètement fou. J’ai tout appris sur ce film, notamment l’importance du montage, qui est vraiment devenu ce que je préfère aujourd’hui.

L’autre souvenir marquant, ce sont les projections, et les retours du public. Aujourd’hui je regarde ce film avec tendresse, et je vois bien qu’il a beaucoup de défauts, mais c’est une histoire de femmes, et il m’a amené beaucoup de témoignages, le propos semblait pouvoir toucher des gens. C’était assez magique.

C’est une histoire de sororité, une thématique qui traverse votre filmographie jusqu’ici, et qu’on retrouvera dans votre prochain long métrage?

J’aime bien explorer ces relations entre femmes, que je n’ai pas beaucoup vues au cinéma, et qui m’intéressent beaucoup. Elles peuvent prendre toutes sortes de formes, dans Matriochkas on travaille plutôt sur la relation mère-fille par exemple.

J’ai fait mes premiers courts à un moment où l’on commençait à s’interroger sur la visibilité des réalisatrices, du coup je me suis retrouvée dans des festivals de films de femmes, des programmations à thème. C’est super, évidemment, cette visibilité. Mais parfois ça peut sembler limitant, et parfois même on à l’impression d’être suspecte, ou au moins suspectée: « Ah oui, d’accord, bon, ce sont des thématiques dans le vent, c’est pour ça ». Peut-être que tant mieux…

Quoiqu’il en soit, je pense qu’il y a beaucoup de relations féminines qui n’ont pas été exploitées au cinéma, ou alors qu’il l’ont été par des hommes, parfois avec génie comme dans le cas de Cassavetes, mais il y a surement une place pour une autre parole aussi.

« Matriochkas »

 

Paradoxalement en tant que réalisatrice, vous pâtissez d’être une minorité, et en même temps, on vous reproche de l’être…

Oui, ça pèse forcément d’une manière ou d’une autre. Ca renvoie à la légitimité. Il m’est arrivé d’être nommée dans des prix aux côtés de réalisateurs, uniquement, et de m’être dit: « Ah ben voilà, je suis le quota réalisatrice ». C’était peut-être vrai, peut-être pas, mais c’est comme une ombre qui plane, même si les choses avancent dans la bonne direction. Bien que pas assez vite…

Matriochkas a connu une carrière incroyable, de très nombreux prix, le Magritte du Meilleur court métrage de fiction, la toute récente nomination pour les César, l’éligibilité pour les Oscars avec le Prix à Palm Springs, ça fait quoi, cette avalanche de prix?

Ce qui est amusant, c’est que le film a déjà 2 ans maintenant, et que les choses se font par vagues. On essaie de jauger ce que la vie d’un film va être après les deux ou trois premiers festivals, mais finalement, ça reste toujours une surprise.

Notamment aux Etats-Unis, je n’étais pas sure que le film y soit bien reçu à cause de son sujet (ndlr: il parle notamment d’une jeune fille confrontée à la question de l’avortement). Le sujet de l’avortement donne au film un positionnement politique très fort, même si ce n’est pas le sujet principal du film. D’ailleurs quand je tournais, j’insistais sur le fait que ce n’était pas un film sur l’avortement, je le voyais comme un sous-texte. Je voulais m’interroger sur le poids que cet enjeu de la grossesse et de l’avortement pouvait avoir sur la relation entre Anna et sa mère. Il me semblait d’ailleurs à l’époque que ce n’était pas un sujet politique, et je me suis aperçue qu’en fait, si. Cela n’a rien de neutre comme sujet.

Avec le Magritte du Meilleur court métrage (copyright: Matthieu Engelen)

 

Quels sont les plus grands enjeux du passage au long métrage?

J’ai tout de suite su ce sur quoi je voulais écrire. Mais comme j’ai pas mal tourné ces derniers mois, ça s’est avéré compliqué de me poser pour arriver au bout de ma réflexion.

Et comme c’est un premier long, on a envie d’y mettre plein de choses, en mode « C’est le film de ma vie », ce qui n’est pas forcément une bonne idée. Donc il faut écrémer, et c’est un exercice que je trouve difficile. C’est un travail de longue haleine, et jusqu’ici, j’avais été confrontée à des écritures plus immédiates. Pour mes courts métrages, en général, je prenais des notes pendant un moment, puis arrivait une nuit où je finissais pas accoucher d’une première version du scénario. Ca marche en court, mais en long, c’est une autre histoire. J’apprends la discipline.

Et puis la carrière de Matriochkas ouvre des portes, mais multiplie aussi les attentes, ce qui est assez vertigineux. Mais! Je termine demain le montage d’un documentaire pour Canal Plus, et de Baraki pour la RTBF, et je m’y remets à temps plein.

C’est difficile aujourd’hui dans l’espace francophone d’être actrice et réalisatrice?

C’est une question que l’on me pose constamment ce qui montre bien que oui, ça doit l’être! On me dit: « Ah, tu réalises maintenant? Donc tu joues plus? » Ben si, évidemment, je joue encore, c’est fou qu’on ne puisse pas envisager que les deux soient possibles en même temps. Il y a plein  d’exemples quand même… Les deux se mélangent un peu dans la tête des gens, ce qui n’est pas si grave, mais parfois, je rencontre des réalisateurs pour un casting, et ils me parlent du film que j’ai écrit, alors que c’est à mille lieux du rôle…

Il y a surement quelque chose de l’ordre de l’intime quand on écrit, et qu’on projette sur l’autrice, ce qui rend plus compliqué de faire correspondre l’actrice avec un rôle. C’est un peu moins une page blanche sur laquelle projeter ses propres films, j’imagine… Ca rend les étiquettes compliquées.

Ce que ça change aussi, c’est que depuis que je réalise, j’ai une empathie infinie pour les cinéastes avec lesquels je travaille. En fait je n’ai plus aucune patience pour les comédien·nes compliqué·es, surtout en tant que comédienne! C’est tellement dur de faire un film… Je m’aperçois que mon métier de comédienne, même s’il y a des choses extrêmement dures, bouleversantes à jouer, est quand même plutôt confortable par rapport à celui de cinéaste! Ce n’est pas que c’est facile, mais tout est mis en place pour que tu puisses faire ton métier au mieux, ce qui n’est pas le cas quand tu es réalisateur·trice, que tu dois tout le temps te battre, ou presque. C’est vraiment une centrifugeuse un tournage pour un réalisateur·trice. Et encore, je n’en suis qu’au court métrage!

Justement, on vous a vue dans des formats de comédie très percutant, comme les capsules de Guillermo Guiz Le Roi de la Vanne ou la série Like moi, alors que c’est assez éloigné de votre travail de réalisatrice. Vous avez un rapport particulier à la comédie? 

J’adore ça, et c’est effectivement un peu ce que je voulais dire avec l’idée de brouiller les pistes!

Vous avez d’ailleurs commencé dans un film avec Dany Boon, Eyjafjallajökull

Oui, c’était une vraie chance de pouvoir jouer un rôle comme ça, à ce stade-là de ma carrière! Bon, dans la foulée, j’ai eu un très beau rôle dans le téléfilm Le Viol d’Alain Tasma (ndlr: film inspiré de l’affaire Tonglet Castellano, procès d’assises où l’on retrouvait notamment Gisèle Halimi à la barre), qui passait en même temps que la série court Like-moi!, donc on ne peut pas dire que l’on m’ait vite cataloguée!

Ce n’est pas vers là que je suis allée naturellement au niveau de l’écriture, sauf que là je développe aussi un projet de série qu’on peut décrire comme une comédie. En fait ça m’intéresse beaucoup! Détourner le quotidien avec humour, c’est précieux, j’adore. C’est peut-être même ce que je préfère jouer.

Bérangère Mc Neese et Camille Sansterre dans « Le Viol »

 

Qui sont les gens qui vous inspirent?

En général, j’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui racontent leur vie dans leur art, au cinéma, mais aussi en musique, en littérature, dans l’humour… Les gens qui trouvent une manière d’exprimer le réel à leur manière, en y trouvant une certaine poésie. Je trouve ça extrêmement dur, et donc fascinant. J’adore Guillermo Guiz, il me fait mourir de rire, je le trouve brillant, et j’attends ses chroniques avec impatience.

Quant aux cinéastes qui m’inspirent le plus, ce sont souvent des gens qui ont aussi été comédien·nes, comme Cassavetes ou Maïwenn pour ne citer qu’eux. J’aime les films qui racontent des expériences humaines, transcendées par le jeu des comédien·nes. Je suis tout de suite en empathie avec les personnages, quelque soit la structure narrative qu’on retrouve derrière, si le personnage me touche, j’ai envie de le suivre.

Parlons un peu de vos nombreux projets…

Je viens de terminer le tournage d’une série pour TF1 avec Audrey Fleurot, Mehdi Nebbou, Bruno Sanchez, et Marie Denarnaud, qui se passe dans la région lilloise, HPI, une comédie policière.

Puis j’ai été contactée par Canal Plus pour réaliser un épisode de la saison 2 d’une série documentaire qui s’appelle Hobbies, qui dresse le portrait de personnes qui ont des passions un peu hors normes. Et j’ai réalisé un épisode, qui s’appelle Bangers, sur des jeunes filles qui font du stock-car dans le Nord de la France, des courses de vitesse où tous les coups sont permis, en quelque sorte. Je n’avais jamais fait de documentaire, et j’ai pu y aller avec mon chef op Olivier Boonjing et mon ingé son Roland Voglaire. C’était dément, je suis en train de terminer le montage son.

J’ai également tourné dans le long métrage de François Pirot, La Vie dans les bois, une très belle rencontre. J’ai tourné dans la série Netflix Braqueurs de Julien Leclercq, dans un rôle absolument nouveau pour moi, j’y joue la femme du dealer qui incarne le grand méchant, un univers méconnu pour moi, du coup c’était génial. J’ai fait un unitaire aussi pour France Télévisions, j’ai un petit rôle dans La Troisième Guerre d’Anthony Bajon et On est fait pour s’entendre de Pascal Elbé.

Baraki-RTBF

J’ai aussi tourné 3 des épisodes de Baraki, dont le montage image est en cours. C’est Benoît Roland le producteur et Fred de Loof le réalisateur principal qui m’ont proposé de prendre part à l’aventure. Comme je n’ai pas fait d’école de réalisation, je trouvais ça super intéressant d’appliquer la grammaire visuelle de quelqu’un d’autre, celle de Fred, à ma vision de l’histoire. Comme si j’avais une charte graphique, en quelque sorte. En plus, j’ai retrouvé la comédienne Sophie Breyer qui avait un rôle important dans mes épisodes, et que j’avais dirigée dans mon premier court, Le Sommeil des Amazones. Et puis c’est la première série paritaire de la RTBF en termes de réalisation. Et ça c’est quand même chouette.

Et là… et bien je vais me remettre à l’écriture de mon long métrage, et je développe une série.

Ca a été une année très remplie en fait… Je n’ai jamais autant travaillé de ma vie, ce qui a bien rempli mon esprit un peu angoissé en cette période pour le moins anxiogène…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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