Avec Beautiful Boy, Felix Van Groeningen transforme l’essai de sa première aventure hollywoodienne, en esquissant le portrait bouleversant d’une relation père/fils chaotique, entre addiction, amour inconditionnel et besoin d’émancipation.
David Sheff vit sur les hauteurs de San Francisco avec sa femme, leurs deux jeunes enfants, et Nic, son jeune garçon adolescent né d’une précédente union. David est journaliste, notamment chez Rolling Stone, Karen est artiste peintre, leurs deux petits sont joyeux et blonds comme les blés, et Nic, jeune homme brillant et créatif, voit un avenir brillant se profiler devant lui. Sauf que Nic a un problème: sa vision du monde s’assombrit de jour en jour, comme si un trou noir prenait peu à peu la place de son coeur. Pour combler cette insupportable béance, Nic se réfugie dans les stupéfiants, allant toujours plus loin dans l’intensité et la fréquence de sa consommation.
David prend les choses à bras le corps, et se lance dans une croisade acharnée pour sauver son fils. Mais il réalise de façon implacable que seul Nic détient les clés de sa rédemption, et que son addiction n’est pas son problème, mais bien la façon dont il le règle.
Beautiful Boy soulève de nombreuses interrogations existentielles: peut-on sauver une personne malgré elle? Nos enfants peuvent-ils nous devenir étrangers? Comment les laisser grandir? Peut-on réparer une relation de confiance quand elle est brisée? Peut-on pleurer un enfant encore en vie?
Si la démarche de David est au coeur d’une narration fragmentée qui multiplie les aller retours temporels, le récit adopte régulièrement le point de vue du fils, dont la trajectoire d’émancipation est cruellement freinée par ses pulsions morbides, son addiction exprimant un profond malaise, une haine intraduisible qui le ronge de l’intérieur. L’incompréhension est totale entre le père, qui voit dans la dépression de fils un syndrome classique de l’adolescence (« Ca passera avec l’âge, tu verras, ça passe toujours »), et le fils qui voit dans le regard de son père déception et désillusion (qu’il croit tournées contre lui, alors qu’il s’agit plutôt d’un sentiment d’échec pour David).
Felix van Groeningen aime incontestablement faire pleurer ses spectateurs, ceux qui ont vu The Broken Circle Breakdown s’en souviennent surement. Le cinéaste s’empare ici d’une histoire vraie à forte teneur lacrymale, scénarisée par Luke Davies (auteur notamment du scénario de Lion, qui s’y entend lui aussi pour faire pleurer les foules). Dans ce premier film tourné aux Etats-Unis, il continue à explorer les liens familiaux, leur complexité et leur fragilité. On retrouve également un certain art de faire progresser son récit de façon non linéaire, les avances rapides ou retours en arrière venant éclairer au fur et à mesure certaines zones d’ombre du récit.
Beautiful Boy bénéficie également d’une direction artistique très soignée. Mention spéciale aux décors et à la bande originale, où l’on retrouve notamment Nirvana, Sigur Ros (le crescendo éminemment lyrique de Svefn-g-englar parfaitement exploité sur une scène déchirante où l’on suit la déchéance de Nic), Neil Young et bien sûr John Lennon et son Beautiful Boy (Out on the ocean sailing away / I can hardly wait / To see you come of age/ But I guess we’ll both just have to be patient).
Dans les rôles principaux, Steve Carell et Timothée Chalamet livrent des prestations inspirées – et l’on sait combien Van Groeningen sait tirer le meilleur de ses comédiens. Il s’est également entouré de fidèles, puisque l’on retrouve Ruben Impens à la lumière, et Nico Leunen au montage.
Beautiful Boy fera la clôture du Festival de Gand le 19 octobre prochain, et sortira dans les salles belges le 21 novembre.