Fabrice Du Welz est de retour avec Maldoror, présenté hier soir en première mondiale à Venise. Il change de registre avec cette fresque naturaliste peu à peu contaminée par un thriller bien noir qui s’empare avec force d’un pan douloureux de l’histoire contemporaine de la Belgique.
Librement inspirée de l’affaire Dutroux, le film offre un regard neuf qui insuffle de la fiction dans la grande Histoire, tout en étant nourri d’une recherche profonde et précise sur le sujet. Avant la présentation et la sortie belges du film, on a voulu revenir avec son auteur sur les origines de ce projet personnel qui invoque un trauma collectif.
« Cela fait longtemps que j’essaie de faire ce film. Au début, quand je disais que je voulais faire un film sur l’affaire Dutroux, je ressentais une très forte hostilité, comme si c’était un sujet sacré, auquel on ne pouvait pas toucher. J’ai eu deux chocs pendant cette longue réflexion. D’abord un choc esthétique avec Once Upon a Time in Hollywood. Pour moi, c’est le chef d’oeuvre de Tarantino, ce film m’a fait comprendre qu’avec la foi et les outils du cinéma, on pouvait tout faire. Il s’empare de faits réels, d’une histoire terrible(ndlr: l’assassinat de Sharon Tate et trois de ses amis par Charles Manson et des membres de sa secte), qui marque un vrai changement de paradigme dans l’histoire américaine, pour proposer un film de réconciliation.
Et puis j’étais obsédé par une séquence réelle de l’affaire Dutroux, racontée à l’époque, où un gendarme descend dans la cave, et entend des voix d’enfants, mais personne ne l’écoute, un an avant qu’il ne soit arrêté. Depuis des années, je me demande comment un homme peut faire face quand on lui annonce qu’il a failli sauver ces enfants? Quel dilemme moral écrasant, comment peut-on vivre, survivre avec la culpabilité?
Là, j’avais mon point de vue, celui d’un jeune gendarme inspiré qui veut absolument faire le bien, mais confronté au mal, il devra s’interroger sur sa part de responsabilité. Cette intersection morale m’intéressait particulièrement.
Quand on s’attaque à un sujet pareil, il faut que le contexte soit imparable, précis, juste. On s’est beaucoup documenté avec mon co-scénariste. Cette approche ultra-réaliste était pour moi un élément clé. Moi j’ai grandi à Bruxelles, j’ai été touché par l’affaire Dutroux, mais pas comme les gens l’ont été les gens à Charleroi. Je me suis beaucoup investi là-bas en faisant les repérages, et j’ai pu constater que les gens étaient encore écrasés par cette affaire, il y a une espèce d’opprobre, c’est comme un fantôme qui plane encore. L’idée était aussi d’offrir une dimension profondément populaire au film. Pour que le film soit le plus large possible, parce que je pense que le sujet est important, et me dépasse. On s’est beaucoup interrogé avec mon scénariste pour faire le film qui nous apparaissait le plus juste possible. Notamment dans son dernier tiers, une sorte d’uchronie où on réinvente ce qui nous a été volé, le sentiment de justice. »
Mais n’en disons pas plus à ce stade. Rendez-vous dans quelques semaines/ mois pour revenir sur ce film d’une grande ambition cinématographique et historique.