Avec Augure, Baloji nous invite à suivre la quête troublante de quatre âmes perdues, vouées aux forces du mal par leur communauté, et qui vont tenter de se défaire de l’identité qui leur est imposée, dans un Congo fantasmatique nourri des vertigineuses visions du cinéaste.
Koffi vit à Bruxelles depuis de nombreuses années, où il s’est construit un foyer grâce à l’amour, qu’il est sur le point de multiplier en devenant père. Mais Koffi n’est plus rentré chez lui, son autre chez lui depuis près de 18 ans. Chez lui, c’est chez ses parents, mais ceux-ci, inexplicablement, lui ferment les portes de la maison. Ils le repoussent au seuil, à la marge. Ostracisé par celleux dont il recherche l’approbation, il retrouve son insécurité d’enfant, celle du temps où on le traitait de sorcier. Koffi est renvoyé à sa condition de Zabolo, celui qui portait la marque du diable. Une assignation qui lui colle à la peau, et qu’il partage, à l’autre bout de la ville, avec Paco, jeune shégué hanté par la mort de sa petite soeur, englué dans une guerre des gangs qui l’empêche de faire son deuil. Ils sont les enfants sorciers, les fils maudits qu’il convient d’exorciser.
Les femmes de la famille ne sont pas épargnées par ces assignations arbitraires et liberticides. Tshala et Mujila, la soeur et la mère de Koffi sont les sorcières. La première bouscule la morale familiale en fréquentant un homme plus jeune, et en refusant de s’accomplir dans la maternité. La seconde fait encore et toujours les frais d’un mariage arrangé par la lignée patriarcale qui préside aux destinées. Il n’y a aucune bonne raison à ces identités forcées. Une marque indélébile, apposée dès la naissance dans le cas de Koffi, qui les condamne à lutter contre le costume qu’on veut leur faire porter. On les accuse d’être possédés, alors qu’ils sont hantés, par les fantômes de leur passé, comme par ceux des versions d’eux-mêmes fantasmées par les autres qu’ils ne deviendront jamais, la « bonne mère », l’« épouse parfaite », le « fils prodigue », l’« homme bien ».
Chaque récit vient en son temps. Koffi, Paco, Thasla et Mujila sont autant de victimes des projections des fantasmes des autres. Leurs chemins s’entremêlent. Ici, c’est un autre espace-temps, qui les engloutit, une autre réalité, un lieu brûlant devenu interdit. Personnage d’abord en retrait, comme esquissé pour mieux s’immiscer dans la narration qui se déploie sous nos yeux, Mujila finit par s’emparer du récit pour livrer à son tour sa vérité.
Cette lutte commune aux quatre personnages pour se libérer des injonctions, et des identités imposées trouve une résonance dans les tableaux fantasmagoriques qui émaillent le récit, forts d’une charge symbolique qui exacerbe les émotions. Les personnages semblent hantés par des deuils impossibles, des doubles virtuels, ce qu’on attend d’eux et qu’ils ne seront jamais, le cinéaste aussi peut-être, parvenant à transmettre ces obsessions, laissant l’espace à chacun d’y projeter ses propres doutes. Ce sont autant de lutte pour être soi-même, réconcilier les identités, faire la paix avec les fantômes.
La troublante beauté visuelle de l’univers déployé par le cinéaste, servie par une direction artistique aussi singulière que spectaculaire entre en dialogue avec la trajectoire des quatre héros, remarquablement interprétés par Marc Zinga (révélé notamment par le film d’Abd Al Malik Qu’Allah bénisse la France), Eliane Umuhire (déjà croisée à Cannes en 2021 dans Neptune’s Frost), l’incroyable Yves-Marina Gnahoua (comédienne de théâtre vue dans le très percutant documentaire Sans frapper) et le jeune Marcel Otete Kabeya dans son premier rôle.
Le film, présenté à Cannes en sélection officielle, dans la section Un certain regard, un première pour une production congolaise, y a remporté le Prix New Voice. Il représentera la Belgique aux Oscars, et enchaîne depuis les récompenses.