Au nom du fils sort en France le 7 mai. Enfin !
Le Méliès d’or 2013 du meilleur film de genre européen, couronné d’un Magritte du meilleur espoir pour le valeureux Achile Ridolfi est enfin distribué chez nos voisins… Mais pas sans mal.
Alors que le film a trouvé sans grande difficulté des salles à travers l’Hexagone, un petit village est entré en résistance contre le film de Vincent Lannoo. Enfin, petit… Pas tant que cela en fait puisqu’on parle quand même de… Paris.
Hé oui, la Ville Lumière qui porte parfois bien mal son nom se trouvait, semble-t-il dans l’incapacité de dénicher le moindre écran disponible.
La raison? Apparemment, une peur panique des réactions de quelques cathos intégristes surexcités qui auraient Astrid Whettnall et son irrépressible propension à se débarrasser des prêtres pédophiles dans le collimateur.
[Photo de tournage, avec la magistrale Astrid Whettnall et le réalisateur Vincent Lannoo]
Affligé par ce constat, le coscénariste québécois du film, Philippe Falardeau (Monsieur Lazhar) est monté au créneau lors d’une interview publiée dans le Film Français, hebdomadaire professionnel, et qui a fait beaucoup de bruit.
» (la réaction des exploitants parisiens) Je ne la comprends pas. Il y a deux contradictions fondamentales. Si le film était mauvais ou trop risqué et que personne n’en veuille en France, pourquoi pas. Or ce n’est pas le cas. En province, en revanche, on le prend ! Que Paris, qui est pour moi la plaque tournante du cinéma, qui se fout des tabous, n’en veuille pas, me surprend. Certes, le film aborde un sujet particulier. Mais si la province, qui est historiquement plus conservatrice, veut le montrer, pourquoi n’est-ce pas la même chose à Paris ? Il y a anguille sous roche… »
Et de défendre pied à pied Au Nom du Fils :
« Le film n’est ni scabreux ni scandaleux. Lars van Trier fait bien pire. Vincent Lannoo me disait qu’avec les manifestations de droite récentes, les exploitants de salle ne voulaient peut être pas passer pour des antireligieux. Sur un terrain plus marécageux, j’ai toujours pensé qu’une intelligentsia cinématographique, tant au niveau de la production que de la distribution, est de plus en plus réticente à montrer des films de la francophonie quand ils ne sont pas signés par quelques favoris comme Joachim Lafosse, les Dardenne ou Xavier Dolan. Même si je suis mal placé pour me plaindre. Tous mes films, sauf le troisième, ont été montrés ici et les distributeurs français qui ont choisi de les distribuer ont fait un beau travail. Tout le monde a le droit de refuser un film dans sa salle. Mais il faut clairement dire pourquoi. Et pour le moment, on ne le sait pas. »
[Achile Ridolfi a reçu le Magritte du meilleur espoir masculin en 2014 pour sa performance]
Cette intervention n’est pas restée sans suite : UGC vient de décider de projeter le film dans une salle sur Paris et François Forrestier, célèbre critique, très respecté, du Nouvel Observateur, est sorti de ses gonds pour une grande envolée lyrique publiée sous le titre « La cathosphère, c’est l’enfer ».
« En France, mes enfants, la coalition des bigots, la soldatesque des chaisières, la fratrie des bedeaux fait peur, » écrit-il. « Déjà, sur internet, il y a un gars qui assure que l’affiche du film est un signe de christianophobie. Elle a donc été refusée telle quelle, et modifiée. En Belgique, no problemo. En France, au secours ! Pas touche à mon Jésus ! Ensuite, voici que le film est proposé aux différents réseaux de salles. En province, « Au Nom du fils » sort, sans l’ombre d’un souci. Au Nantes Katorza, au Lyon Comoedia, au Bordeaux Utopia, au Montpellier Utopia, au Poitiers Dietrich, etc, les exploitants jouent le jeu : quinze salles partout en France. Sauf à Paris. Les prétextes de refus valent leur poids de mauvaise foi : selon les uns, « Il n’y pas de place » (faux) ; « La réalisation est faible » (ah ? Pourquoi ne pas avoir refusé « Taxi 2 », alors ?) ; « C’est un film fasciste » (parce que dans le temps, les films les plus crapoteux de Michael Winner ne sortaient qu’à Fréjus ou à Hénin-Beaumont peut-être ?) ; « Apologie de la self-défense » (et quand tu projetais les films de Bruce Lee, hein, mon gars ?) ; « Propos nauséabonds », et j’en passe. Bref, la corporation s’est illustrée par son courage qui ne lui disait rien. Un exploitant a quand même lâché le morceau : « J’ai peur des représailles. » Sauvons les salles. Protégeons les esquimaux glacés. »
[Vincent Lannoo et l’intrépide producteur belge Lionel Jadot lors d’un Cinevox Happening dédié au film]
Rappelons néanmoins qu’en Belgique, le film a eu droit à une belle tournée des festivals (FIFF, BIFF, Be Film Festival, Ramdam, festival du cinéma belge de Moustier…) et à un très sympathique Cinevox Happening, mais qu’il a fait l’essentiel de ses 8000 spectateurs dans une seule salle, le cinéma Galerie à Bruxelles pour ne pas le nommer, puis à Namur et Mons. Preuve que tous n’étaient pas franchement prêts à affronter les cris d’orfraie de la communauté la plus extrémiste.
[Le cinéma Galeries avait aménagé une salle de façon très spéciale pour programmer le film]
On se souvient d’ailleurs d’une critique aussi isolée que particulièrement épicée qui faisait état d’une « farce malsaine et grossière », reprochait à Vincent Lannoo de pencher « par moments à droite de la droite » (ce qui est une analyse politiquement étrange, mais bon) et de n’être finalement qu’une « effroyable et malsaine caricature de la chrétienté ».
Tout ça pour dire qu’il ne faudrait pas penser que notre pays est celui des Teletubbies : il a également ses petits croisés.
[Au Nom du Fils au FIFF 2012 (photo PP)[
Heureusement, sept nominations aux Magritte et une très grosse côte de sympathie qui s’est cristallisée sur la personne d’Astrid Whettnall, devenue en une heure trente une valeur sûre du cinéma belge, ont largement rappelé que tout cela était du cinéma. Rien que du cinéma… Et que la deuxième partie du film que certains ont qualifié à raison de tarantinesque (Kill Bill n’est pas loin) ne renonce jamais à la dérision.
Ce que n’ont pas encore assimilé certaines factions intégristes françaises qui mettent littéralement François Forestier hors de lui, jusqu’à conclure son article par un cinglant : « Et les autres ? Les soumis à la tyrannie cléricale, les confits de jésuitières, les marguilliers dictateurs, les agenouillés du pignoufisme, tous ceux-là iront droit en enfer. Si, si, je vous le dis, en vérité. En enfer ! C’est là qu’on s’apercevra enfin le mot « parisien » s’orthographie « pharisien. »
A bas la dictature des cagots ! »
Avec moins de 20 salles sur toute la France, Au nom du fils n’a naturellement aucune chance de bousculer le box-office français, mais toute cette agitation ne peut que servir le film et attirer vers lui des spectateurs qui autrement n’en auraient jamais entendu parler.
Certains esprits obtus n’ont vraiment rien retenu de l’affaire Tomboy »*, on dirait.
Tant mieux pour Vincent et sa team !
- De nombreux intégristes de l’ultra droite catholique voulant faire interdire la programmation de Tomboy sur Arte ont tout juste réussi à provoquer des records d’audience lors de sa diffusion de cet excellent film très digne.
- L’article de François Forrestier est à lire in extenso ici.