Au Cul du Loup est dans les salles belges et c’est une excellente nouvelle. Bien sûr, le film a eu droit à moult avant-premières et des tas de festivals l’ont accueilli les bras ouverts, mais il était temps qu’il vienne enfin à la rencontre du public qui sera ravi de se plonger dans cette belle histoire d’émancipation, dépaysante et chargée en émotions.
« J’ai longtemps été journaliste et j’ai enseigné pendant 22 ans. Je me suis toujours intéressé au cinéma. À un moment, autour de la quarantaine, je me suis dit que cette passion devait bien correspondre à quelque chose de très profond et que je devrais peut-être envisager de passer à l’acte. J’ai alors écrit et réalisé un court métrage, Dormir au Chaud. Déjà avec Christelle. C’est le vrai déclic qui a conduit à Au Cul du Loup. »
C’est avec un certain détachement et une intarissable éloquence que Pierre Duculot évoque son entrée en cinéma. Et pourtant… Combien n’ont pas rêvé de tourner un jour un film ? Et combien y sont arrivés ? Ce parcours force donc autant l’admiration que le long métrage qui en découle, une toute petite décennie plus tard.
Au Cul du Loup est le film de Pierre (Duculot), bien sûr, mais c’est aussi le film de Christelle (Cornil), qui le porte de bout en bout à l’écran. Comme dans toutes les belles histoires, ces deux-là se sont croisés par hasard. Oui, parfois, le hasard fait très bien les choses.
« C’était au festival de Huy », se rappelle Pierre Duculot. « J’étais juré, représentant la presse. À mes côtés, il y avait Philippe Reynaert (directeur de Wallimage et animateur télé, ndlr), Patrick Quinet (président de l’union des producteurs francophones) et Christelle. C’était un peu après Le Vélo de Ghislain Lambert. Le soir, après les projections, chacun rentrait chez soi: sauf Christelle et moi. Alors nous avons passé quelques soirées ensemble et beaucoup discuté. C’est à ce moment-là, déjà, que je me suis dit que si je tournais un jour un film, ce serait avec elle. »
« Ce fut une belle rencontre », confirme Christelle, « mais à ce moment-là, je n’ai jamais vraiment pensé que cela déboucherait sur une aventure professionnelle. Pierre avait des envies de cinéma, mais il était surtout journaliste. J’étais déjà ravie de faire partie de ce jury avec des personnalités de premier plan de notre cinéma, des gens avec une formidable carrière. Moi, j’arrivais tout juste. Quelques années plus tard, Pierre m’a fait lire le scénario de son premier court métrage, Dormir au chaud. C’était un beau cadeau, car jamais on ne m’avait proposé un rôle de cette envergure. »
« J’ai écrit le court métrage suivant pour un concours « , enchaîne le réalisateur. « Après le verdict, un membre du jury est venu me voir et m’a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi je n’avais pas gagné et que je devais absolument proposer ce scénario à la commission. Il avait raison puisqu’il a été accepté et que j’ai pu le tourner. Il n’y avait rien dans les rôles principaux qui corresponde au profil de Christelle. Mais j’avais néanmoins envie de l’emmener dans cette aventure. Je lui ai donc proposé un personnage qui a priori est très loin d’elle : celui d’une grande bourgeoise méchante et très cruelle avec son mari. »
À eux deux les deux courts métrages de Pierre Duculot ont cumulé plus d’une centaine de sélections en festival. De quoi donner envie à un producteur de l’aider à passer au long.
« Denis Delcampe (Need productions) qui est un ami de longue date m’a demandé si je n’avais pas de projet. Je lui ai parlé de celui sur lequel je travaillais et il m’a épaulé. Il y a eu de nombreuses versions d’Au Cul du Loup (qui s’appelait à l’origine La Villa du Lucchese, ndlr), avec une constance : j’ai toujours su que je voulais tourner avec Christelle. Ce n’était pas une décision facile à faire accepter. Pour moi, c’était néanmoins une volonté absolue. Quand tu tournes un court-métrage, les acteurs qui t’accompagnent le font par passion: ils ne sont pas payés, ou alors au lance-pierres. Si la collaboration est fructueuse, il est normal qu’elle se poursuive sur une base plus professionnelle ensuite; c’est en tous cas comme ça que moi, je le perçois. Le personnage de Christina qu’interprète Christelle s’est dessiné très progressivement. »
« Après que j’ai lu la première version, Pierre et moi avons longtemps discuté. Nous sommes allés ensemble en Corse, et en confrontant nos idées nous avons fait évoluer le personnage. Un journaliste nous disait récemment: « vous avez donc coécrit le film ». Ce n’est pas du tout ça. Au Cul du Loup est le film de Pierre et j’ai surtout tenté d’étoffer le personnage qui est le pivot de son histoire »
« À la base », s’amuse Pierre, « Christina est très loin de Christelle qui n’est pas du tout une fille de prolo carolo, mais plutôt d’intello de Louvain-la-Neuve. » Il sourit, elle aussi. « Mais elle s’est parfaitement approprié ce personnage. Dès que nous nous sommes rendus en Corse, j’ai compris qu’elle était bien l’actrice idéale. Tu mets quelqu’un dans ces paysages, tu le fais marcher et parfois tu constates que ça ne peut pas fonctionner. Avec Christelle, l’évidence a été totale. Elle se trouvait là-bas comme chez elle. On voyait immédiatement qu’elle s’y sentait bien, ce qui était essentiel pour la crédibilité de la démarche. Ensemble, nous avons beaucoup travaillé sur son personnage. Une fois qu’on a tenu la version définitive du scénario, je lui ai envoyé un texte qui définissait son passé, sa nature, au-delà de ce qu’on découvrait à l’écran: quelle école elle avait fréquentée, si elle avait été une bonne élève, quelle relation elle entretenait avec ses parents, comment s’était déroulée son enfance… Là-dessus, elle est venue greffer des détails supplémentaires. Son personnage a toujours été le moteur de l’histoire et son importance n’a pas changé, mais ce qui gravite autour a peu à peu évolué. Au début, par exemple, la partie carolo était beaucoup plus longue, beaucoup plus sociale. On voyait Christina en train de chercher du boulot, se battre dans des emplois qui ne lui convenaient pas, mais j’ai considérablement élagué cet aspect des choses, car c’était un autre film.
Sage décision : Au Cul du Loup, aujourd’hui, n’est en effet plus du tout un manifeste social. On connaît naturellement les préoccupations de Pierre Duculot, son engagement politique aussi, mais le film raconte autre chose: une aventure humaine, familiale, une émancipation, l’envie d’une femme de se donner les moyens de vivre une vie à elle…
Ce qui nous ramène au début de cet article et au chemin du metteur en scène qui a concrétisé ce rêve que beaucoup abandonnent en cours de route. Une belle aventure, une merveilleuse histoire, un duo passionnant et, au bout du compte, une petite perle de sensibilité (sans aucune trace de sensiblerie) à découvrir en salle dès ce 25 janvier.
[Toutes les photos de l’article sont de Marianne Grimont]
Voir aussi:
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Coups de zoom sur 2012 : cinq premiers films
L’interview de Christelle Cornil