Réaliser un premier film, c’est s’exposer à des surprises de taille. À des déconvenues, peut-être. C’est contourner les obstacles, parer au plus pressé, composer une équipe et la diriger. C’est… tellement de paramètres à envisager qu’il est impossible d’en faire le tour si on n’a jamais mis les pieds sur un plateau. Ce qui n’était pas vraiment le cas de Pierre Duculot, néophyte à ce niveau, mais imprégné de culture cinématographique depuis de très longues années…
« Je n’avais jamais réalisé de longs métrages, mais je suis dans la périphérie du métier depuis longtemps. J’ai discuté avec tant de metteurs en scène et de producteurs que je connaissais les principaux défis qui m’attendaient sur le tournage d’un film comme celui-ci. Mais même si on croit tout pouvoir anticiper, on se rend compte sur le terrain qu’on n’est pas à l’abri d’un impondérable qui pourrait tout ruiner.
Pour nous, ce coup du sort, ce fut l’éruption du volcan islandais qui bloqua toutes les liaisons aériennes pendant plusieurs semaines. Des acteurs de notre casting travaillaient à Paris et devaient nous rejoindre quelques jours en Corse, notamment Marie Krémer et François Vincentelli. Tous deux étaient occupés sur d’autres projets et là-bas, personne n’avait envie de les laisser partir avec le risque qu’ils ne puissent pas revenir. Nous avions déjà tourné (en Belgique ndlr) la scène de l’aéroport où les deux acteurs sont ensemble, mais l’agent de François Vincentelli, qui tournait Hard pour Canal Plus nous proposait de nous dédommager ce jour de tournage pour que nous puissions le refaire avec d’autres acteurs. Heureusement, nous avons fini par nous entendre et tout s’est finalement déroulé selon les schémas établis. À une ou deux exceptions près. »
Au Cul du Loup a été tourné en 31 jours avec un budget d’un tout petit peu moins d’un million d’euros. C’est très peu et, quand on voit le résultat à l’écran, on ne le soupçonne pas.
» Lorsque nous discutons après les projections, c’est ce qui étonne le plus le public. Souvent, on nous demande comment il est possible de travailler aussi vite dans deux pays différents avec un budget aussi serré, mais nous l’avons fait et cela nous a donné quelques libertés. Comme d’imposer des acteurs a priori moins bankables mais que j’avais envie de faire tourner. »
Une bonne idée, une très bonne idée même, car le casting et la direction d’acteurs sont deux des réussites incontestables du film. Nous ne reviendrons pas sur Christelle Cornil, impeccable, mais tous ceux qui gravitent autour d’elles apportent beaucoup de la crédibilité, de l’émotion et de corps à ce périple.
« Je tenais à travailler avec quelques comédiens que je connaissais bien comme Jean-Jacques Rausin ou Pierre Nisse. J’adore aussi Cédric Eeckhout (le pizzaïolo) : il existe en deux scènes (on confirme, ndlr). On le voit peu au cinéma, parce qu’il est tout le temps sur les planches en Belgique ou en tournée à travers le monde, mais c’est un acteur extraordinaire et je compte le réemployer à l’avenir. Roberto D’Orazio, je le voulais absolument. J’aime sa personnalité et j’étais convaincu de son talent. Même si j’en suis loin aujourd’hui, je viens d’un sérail plutôt libéral et quand j’ai dit à mon père que j’allais faire tourner Roberto, il a failli s’étrangler (il rit). Et puis il y a Marijke Pinoy, une formidable comédienne que j’admirais surtout pour son travail théâtral. Christelle avait joué avec elle dans Sœur Sourire. Elles se connaissaient donc un tout petit peu. Marijke a très vite accepté de nous rejoindre et le hasard fait qu’elle a décroché presque au même moment un rôle marquant de maman dans un autre film francophone (Elle ne pleure pas, elle chante, ndlr).
Je suis aussi sous le charme de sa personnalité : c’est une des instigatrices du mouvement ‘Niet in onze naam’ de résistance flamande à Bart De Wever. Elle est très engagée politiquement et milite actuellement chez Groen. Le couple Roberto-Marijke peut paraître étrange, mais les unions entre Italiens et Flamands étaient monnaie courante dans la région de Charleroi il y a quelques dizaines d’années. Ce n’est pas très étonnant, car à l’époque Flamands et Italiens venaient dans le Hainaut pour trouver du boulot et étaient parfois considérés comme des moins que rien. Ils se retrouvaient donc assez logiquement. L’avantage de la présence de Marijke était double : c’est une formidable comédienne et il est physiquement crédible que Christelle soit sa fille.
Outre François Vincentelli (acteur franco-belge hyper talentueux), le casting purement corse est aussi fort convaincant.
« Là-bas, j’ai pu compter sur une formidable directrice de casting qui nous a déniché d’incroyables comédiens locaux. J’ai passé beaucoup de temps en Corse ces dernières années et je connais beaucoup de monde dans le milieu du cinéma là-bas. J’ai aussi regardé des séries comme Mafiosa ou des téléfilms de France3 Corse pour découvrir de nouveaux visages. Mais lorsqu’on doit trouver sur place une vieille dame de 80 ans qui est aussi une très bonne actrice, c’est tout à coup assez compliqué. D’autres personnages sont incarnés par des amateurs comme ceux que Christina rencontre dans le café. C’étaient de vrais clients. Seul le patron n’a pas voulu tourner. J’ai alors demandé à un autre cafetier que je connaissais de le remplacer. Avec lui, je savais qu’on aurait droit à une bonne tranche de vie. »
Dans la partie corse du film apparaît un visage connu, belge celui-là : Marie Krémer dont la présence surprend (c’est le but et on ne vous dira pas quel rôle elle joue).
« Je connais Marie depuis longtemps », explique Pierre Duculot. « C’est une actrice que j’adore, mais c’est avant tout une amie. On se rend souvent en Corse ensemble pour y faire de la randonnée. On adore tous les deux cela. Marcher au grand air. Et papoter aussi. C’est une véritable amie avec laquelle j’ai des atomes crochus.
Lorsque j’ai proposé le rôle à Marie, je lui ai dit: il n’y a pas de budget, mais c’est l’occasion de venir passer un week-end en Corse et elle a tout de suite accepté. Certains me disaient que n’importe quelle actrice du coin ferait l’affaire, mais je savais que c’était faux : pour moi, il était capital qu’elle vienne. Elle apparaît très peu à l’écran et j’avais donc besoin d’une personnalité forte qui en impose en quelques secondes. »
Car comme l’explique Christelle Cornil dans son interview, les seconds rôles sont souvent extrêmement difficiles à incarner : il faut marquer les esprits en quelques répliques. Tous ceux qui ont vu Jérémie Renier dans Le Gamin au Vélo comprendront aisément ce qu’elle veut dire. Elle-même d’ailleurs en sait quelque chose. Marie Krémer aussi. Même si l’une et l’autre, à l’instar du futur Cloclo, devraient assez rapidement passer de façon répétée à des rôles de plus en plus longs et consistants. Au Cul du Loup est un magnifique passeport pour cela.
Voir aussi:
La première bruxelloise du film à Flagey
Le triomphe au festival d’Amiens
Coups de zoom sur 2012 : cinq premiers films
L’interview de Christelle Cornil
Pierre et Christelle : une belle histoire d’amitié