Arno, comédien magnétique

On le savait malade, Arno est décédé ce samedi 23 avril. On le savait, mais c’est quand même un choc, et c’est toute la Belgique qui se sent un peu orpheline. Arno a bercé nos nuits blanches, nos soirées endiablées et nos étés, mais il a aussi hanté nos salles obscures. Il a notamment été le héros de deux films belges forts et qu’il fera bon revoir: Komma de Martine Doyen (2006) et Prejudice d’Antoine Cuypers (2015). Deux rôles intenses, qui auront imprégné à jamais nos rétines, et nourrit nos imaginaires de cinéma.

Dans Komma, Arno joue un revenant. Le film débute dans un souffle, sur son visage, scruté en gros plan. Un visage sous un drap, un drap dans une morgue. Après une soirée qu’il faudra surement mieux oublier, il se réveille parmi les morts.

Komma est un écrin à la hauteur de l’alter ego de cinéma d’Arno. C’est l’histoire d’une renaissance, celle d’un mythomane fatigué mais chez qui brille encore une petite lueur d’espoir, qui va croiser le chemin d’une femme amnésique, incarnée par Valérie Lemaître (co-autrice du film), à qui il va écrire des souvenirs et en passant, une histoire d’amour. Deux âmes errantes sans mémoire qui s’échappent au pays des rêves, dans des paysages incongrus de conte de fée, mais un conte de fée un peu absurde et savamment mélancolique. 

Le film, premier long métrage de Martine Doyen, eut les honneurs de Cannes. Le comédien chanteur y accompagna la réalisatrice, aussi décalé sur la Croisette qu’à sa place sur le grand écran. En 2017 d’ailleurs, on le retrouvera dans les premiers plans du documentaire d’Henri de Gerlache, La Belge histoire du Festival de Cannes. Il arpente la plage d’Ostende, qui un temps fut pressenti pour accueillir un grand festival de cinéma juste après la deuxième guerre, plage du Nord, et plage de coeur du chanteur flamand, qui y livre avec l’économie de mots qu’on lui connaît sa vision du cinéma belge.

Arno l’a dit et répété, « travailler pour un·e autre, c’est comme une thérapie ». Une façon peut-être de se mettre en vacances de son personnage de rocker, de se laisser réinterpréter, ré-imaginer par d’autres, pour habiter d’autres récits.

A-New-Old-Story
Dans « A New Old Story » avec Sofia Leboutte

Quelques années plus tard, il répond présent à l’appel d’un jeune réalisateur, Antoine Cuypers, qui le rêve dans son court métrage, A New Old Story. Il lui confie le rôle d’un séducteur un peu usé par la vie, un poète amoureux déchiré par une violence passée, mais capable de rejouer mot pour mot, 40 ans plus tard, la seule scène d’amour qui compte pour lui. 

Il retrouve Antoine Cuypers quelques années plus tard dans son premier long métrage, Prejudice. Il y tient un rôle que l’on pourrait croire à contre-emploi, mais finalement pas si éloigné de lui, celui d’un père aimant mais taciturne, de peu de mots, mais souvent les bons. Celui qui écoute et qui entend son grand fils, un fils différent incompris par tous. Il embrasse et aime son étrangeté. Il est là, et forme un couple détonnant avec Nathalie Baye, où souffle le chaud et le froid, et où contre toute attente, il est le chaud. Le cinéaste filme son dos, sa nuque, ses cheveux gris. Si Arno, on le sait bien sûr, c’est une voix, c’est aussi un corps, un corps de cinéma.

Arno-Prejudice
Dans « Prejudice » avec Nathalie Baye

Il est à la fois insaisissable, et en même temps incroyablement proche. Dans J’ai toujours rêvé d’être un gangster, il est l’anti-dandy, le rocker nonchalant, irrésistiblement voûté. Samuel Benchetrit semble s’être joyeusement amusé à le mettre en scène dans un duo/ duel d’anthologie, face à Alain Bashung, deux oiseaux nocturnes en plein concours de crooners. Une façon de se jouer des caricatures, d’atomiser les clichés.

Un sens de l’autodérision déjà présent d’ailleurs, forcément, dans Camping Cosmos de Jan Bucquoy, où il joue un maître-nageur/ moniteur de hula-hoop, en mode Alerte à la Mer du Nord, qui se paye le luxe d’éconduire Jan Decleir. Evidemment chez Jan Bucquoy, on ne fait pas les choses à moitié.

Dans « J’ai toujours rêvé d’être un gangster » avec Alain Bashung

A travers de rares mais précieux rôles (on retiendra aussi d’ailleurs Surveiller les tortues d’Inès Rabadan), Arno a démontré à son aise qu’il avait l’étoffe d’un acteur, un grand. On n’oubliera pas non plus qu’en 2008, il offrit un morceau à une jeune réalisateur qui ne se voyait pas clore son film résolument bruxellois sans la voix du patron. Arno signait alors le générique de fin des Barons de Nabil Ben Yadir.

« Surveiller les tortues » d’Inès Rabadan

En mars dernier, le Festival du Film d’Ostende venait ancrer dans le marbre cette carrière parallèle, lui décernant un Lifetime Achievement Award, et une étoile sur son Walk of Fame.

Arno manquera aux Belges, à la Belgique et au monde, il manquera à la musique, et il manquera aussi au cinéma.

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