Mon Ange est avant tout une expérience sensorielle, un conte onirique pour adulte. Harry Cleven donne à voir l’invisible, grâce aux artifices magiques du cinéma. L’argument de base est tout à la fois limpide et follement original: une jeune fille aveugle tombe amoureuse d’un jeune garçon invisible. Advienne que pourra de cette histoire d’amour aussi évidente qu’impossible.
Revenons rapidement à l’histoire. La mère de Mon Ange (c’est donc bien son nom) est une jeune femme fragile. Alors qu’elle est enceinte, son magicien de mari, un as de la disparition, réalise le numéro ultime, pour ne plus jamais réapparaître. La jeune femme est alors internée, et accouche dans le plus grand secret d’un enfant invisible, dont elle seule connaît l’existence. Longtemps confiné aux murs de la chambre et à l’univers mental de sa mère, Mon Ange pousse un jour la porte de l’institution pour aller à la rencontre d’une petite fille rousse qu’il aperçoit par la fenêtre de la chambre. La petite fille est aveugle. Elle voit Mon Ange avec tous ses sens sauf la vue. Une amitié fusionnelle nait entre ces deux enfants isolés de tous, qui semblent vivre en dehors du monde, dans un écrin de nature.
Seulement un jour, Madeleine doit partir. Elle va se faire opérer afin de retrouver la vue. Alors que son absence se prolonge, la mère de Mon Ange meurt, et ce dernier se retrouve résolument seul, jusqu’au retour inespéré de Madeleine, quelques années plus tard. Celle-ci voit, désormais. Conscient du déséquilibre soudain de leur relation, Mon Ange ne sais comment renouer contact. Sans qu’il ne puisse lui expliquer pourquoi, Madeleine devra faire comme avant, et fermer littéralement les yeux sur sa nature. Mais cette situation ne peut durer…
Mon Ange c’est l’histoire d’un amour fou, insensé, une bulle hors du temps et du monde, une expérience ultra-sensorielle, incarnée par la magie du cinéma. C’est un retour assumé aux origines du medium, à l’inventivité des premiers cinéastes, aux effets spéciaux mécaniques qui autorisent la foi en un monde parallèle peuplé de garçons invisibles, dont seuls d’élégants artifices permettent de voir les contours (comme cette scène sous la pluie). Au spectateur de passer le pacte tacite de la fiction, cette suspension provisoire de l’incrédulité qui ouvre la porte à toutes les audaces, et surtout, à une immersion sans a priori dans cette histoire d’amour onirique, tout en sensations. Mon Ange se nourrit de paradoxes sensoriels. Il s’agit d’écouter le silence, de sentir des regards, de voir avec les mains, dans un chamboulement total des sens, qui vient judicieusement accompagner l’éveil sensuel des jeunes adolescents puis adultes que sont Mon Ange et Madeleine. Leur différence est comme transcendée par le filtre de réalisme magique appliqué sur leur réel.
Pourtant Mon Ange, ce sont aussi des histoires d’enfermement: Madeleine dans sa cécité, Mon Ange dans son secret, et la mère dans son asile. Le personnage de la mère d’ailleurs, apporte dans la première moitié du film un contrepoint fantastique un peu inquiétant, sa folie laissant planer le doute sur l’existence même de Mon Ange. Mais Madeleine et Mon Ange vont s’employer à lever un à un tous les obstacles qui se dressent face à eux, et choisir la poésie et l’onirisme, ils vont inventer une nouvelle manière de vivre. A la fin du court récit, on n’est plus très loin de l’univers de Tim Burton, où les personnages choisissent de s’épanouir envers et contre tous dans leur différence.
L’essentiel du récit est mené du point de vue subjectif de Mon Ange, dont la présence à l’écran est réduite à sa voix, son regard (l’objectif de la caméra donc), et surtout, l’effet qu’il produit sur le monde qui l’entoure, à commencer par Madeleine. Cette dernière est incarnée à l’âge adulte avec une grâce toute particulière par Fleur Geffrier, dont on ne réalise qu’en sortant de la salle que c’est en grande partie grâce à son regard que Mon Ange existe. Elle réalise un vrai tour de force, celui de jouer seule face à une caméra en nous faisant croire à un personnage invisible. Sa performance tout en intensité et en douceur, l’image et la lumière servies par le travail magnifique de Juliette Van Dormael (qui lui a d’ailleurs valu le Best Cinematography Debut Award au prestigieux festival Camerimage, ainsi qu’une nomination aux American Society of Cinematographers Spotlight Awards), les décors un peu magiques, et son point de vue si singulier font de Mon Ange un film audacieux et inclassable, une vraie aventure esthétique pour le spectateur prêt à se laisser emporter pendant une poignée de minutes dans cette aventure au-delà des sens communs.