Amélie van Elmbt n’en fait qu’à sa tête

Pour la plupart des gens, La Tête la Première est un long métrage qui sort de nulle part. Ou presque. À tel point que journalistes et invités se demandaient qui était cette demoiselle, très concentrée, présente entre Jacques-Henry Bronckaert et Frédéric Delcors (cliché ci-dessous) pendant la conférence de presse conjointement organisée par la Fédération Wallonie-Bruxelles et Wallimage pour recenser toutes les coproductions belges retenues à Cannes.

 

Lorsque l’histoire de cette jeune fille opiniâtre fut révélée, elle émerveilla l’assistance. Et lorsque nous avons enfin pu découvrir son film, nous sommes restés muets devant tant de culot, mais aussi de talent (critique mardi sur le site).

Amélie van Elmst, sélectionnée à l’ACID, c’est la merveilleuse aventure d’une demoiselle pugnace qui refuse qu’on lui dise que ses rêves sont impossibles à réaliser et qui sors ses griffes quand on essaie de lui rogner les ailes. Les raseurs et les moralistes, elle n’en a rien à faire, préférant n’écouter que la petite voix intérieure qui la guide et son audace qui lui permet de renverser des montagnes. Comme certains contes finissent bien : là voilà donc à Cannes, prête à épater la galerie. Au cas où vous ne l’auriez pas compris: nous, nous sommes fans.  De la démarche, du film et du talent de ces jeunes gens, sauvages et fous, qui injectent leur incroyable vitalité dans le cinéma de chez nous.

 

 

[Photo iPhone par Stéphanie Hugé]

 

 

–          Pourquoi avoir fait un film toute seule?

 

–          Pas toute seule, mais avec une sacrée équipe qui s’est donnée à fond. Une petite équipe qui a accepté de travailler bénévolement. Mais sans producteur, ça oui.

À l’origine, j’avais envoyé un projet à des sociétés belges et françaises parce que j’avais besoin de passer par là pour le soumettre à la commission. Mais je n’ai pas eu de feedback positif. Souvent, je n’ai même pas eu de réponse. Ça m’avait vraiment blessée : j’avais écrit le scénario avec mes tripes. Ça racontait des choses qui me touchaient vraiment, une partie de mon adolescence. Et les gens ne m’ont même pas dit qu’ils n’aimaient pas ou seulement qu’ils l’avaient lu : rien ! Quand on est jeune et qu’on en veut, on ne comprend pas cette indifférence et ça fait très mal.

 

Tous mes amis me conseillaient de plutôt commencer par un court métrage et je me suis mise à chercher des comédiens. C’est ainsi que j’ai rencontré David (voir l’interview de David Murgia). Je me suis immédiatement rendu compte qu’il était différent des autres. David m’a tout de suite scotchée parce qu’en plus d’être naturel et spontané, de pouvoir tout jouer, il est très drôle. C’est quelqu’un de rare, de très ouvert, d’humain avec un formidable enthousiasme.  Très vite, je me suis dit que s’il avait un peu de temps dans les mois à venir je voulais en profiter pour tourner avec lui. Un long. Je l’ai rappelé et malgré son agenda de ministre (ndlr, David est très occupé au théâtre), il m’a proposé trois semaines en août. C’était tout ce qui était possible. Alors,  j’ai foncé.

 

À ce moment, j’ai rencontré deux ou trois producteurs, mais sans grand succès. Je ne leur demandais pas d’argent, mais seulement un relais vers la commission pour pouvoir bénéficier de l’aide à la finition.

Pour profiter de l’aubaine,  je ne pouvais pas entamer un parcours classique et j’ai donc décidé d’y aller au culot, sans soutien.  En fait, je n’avais pas le choix: si je m’étais inscrite dans un processus classique, David n’aurait plus été libre, Alice n’aurait pas pu me rejoindre et le film auquel je rêvais ne se serait pas fait. Je n’ai pas hésité.

 

–          Par la force des choses, ton film n’a donc pas pu coûter très cher?

 

–          L’équipe a tourné de façon totalement bénévole. Postproduction comprise, le coût du  projet est insignifiant par rapport aux standards. En Belgique, on s’appuie sur des sommes beaucoup plus importantes (ndlr. un petit film tourné en Wallonie dans un schéma traditionnel coûte rarement moins de 2 millions) et le cheminement est très long. Cela prend deux voire trois ans. Je ne pourrais pas tenir à ce rythme. Je deviendrais dingue. En comparaison, le prochain film de Jacques Doillon sur lequel je vais travailler comme assistante ne coûtera même pas un million. Ce sera un film intimiste très libre. Cette économie de moyens, c’est le secret de sa liberté. S’il ne maîtrisait pas son budget, jamais il n’aurait eu l’occasion de tourner autant. Comme lui, je veux tourner souvent et je suis persuadée qu’avec un million je peux faire les films dont j’ai envie sans m’imposer trop de contraintes : je pourrais payer tout le monde décemment et m’octroyer un salaire raisonnable. Je veux faire du cinéma, c’est ma passion. C’est cela qui donne un sens à mon existence, pas l’argent.

 

Le cinéma comme un art et non comme un business, l’envie de s’exprimer et non celle de vendre ou de chercher un » créneau », le désir d’avancer à tout prix et de ne jamais baisser les bras. On retrouve tout cela à la fois chez Amélie et dans son film. La folle énergie instinctive de cette jeunesse talentueuse donne foi en elle et dans l’art qu’elle pratique. Parce qu’il existe une autre voie, que rien n’est forcément perdu d’avance et que ce film, s’il ne va pas changer le monde, va profondément influer sur des destins individuels: destins de ceux qui l’ont fait, de part et d’autre de la caméra, mais aussi destins du spectateur qui pourrait à l’issue de la projection remettre en cause quelques idées établies et tout à coup rêver de liberté.

 

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