Amélie van Elmbt : Chassez le naturel…

La Tête la Première est donc tout prêt à sortir en salles. On l’a vu en première aux Cinevox Happenings il y a deux semaines et il est à présent en compétition au festival de Namur (prix Cantillon, prix Cinevox). Mercredi, c’est la rencontre avec le grand public. L’instant clé.

Très bien accueilli en Belgique, ce film prouve que que la valeur n’attend pas le nombre des années (air connu) et que le plaisir procuré par un film n’était pas proportionnel à l’argent qui y était injecté. Amélie van Elmbt, la réalisatrice et David Murgia, son acteur principal, et surtout Alice de Lencquesaing sont les fers de lance d’une classe biberon pleine d’audace et (surtout) de talent.

Pour nous, la jeune Namuroise la plus culottée du cinéma belge actuel revient ici sur quelques aspects très particuliers de son travail : son exigence, mais également sa liberté de ton. Et non, ce n’est pas paradoxal.

Ses envies et son inaltérable volonté à convaincre tous et chacun de sa vision d’une scène. Jusqu’à ce qu’elle obtienne ce qu’elle veut. Mais sans brimer les comédiens. Quel talent ! Déjà !

 

 

 

–          La Tête la Première dégage une impression étrange : beaucoup de naturel, une incroyable liberté, mais la sensation que les dialogues sont aussi très écrits.

 

–          Mon film est assez bavard, mais c’est totalement assumé. Pour moi, le cinéma doit dire un peu plus que la vie, sinon autant regarder autour de soi. Je n’aime pas trop ces films avec un parti pris documentaire où des gens, au bord de la rupture, n’arrivent plus à se parler. Ce que mes personnages se disent, j’avais envie de l’entendre. Le cinéma permet cela. Il ne fallait pas que les malaises qui pouvaient surgir restent systématiquement silencieux. Cela dit, je ne voulais pas non plus que le film paraisse trop écrit. J’ai donc beaucoup joué sur la marge de manœuvre des acteurs pour leur laisser de la liberté, pour qu’ils puissent proposer leur manière de voir les choses, de bouger, de parler.  La mise en place n’était pas décidée à l’avance. On cherchait les déplacements ensemble, la scène se construisait ainsi, sans storyboard. En recherchant une fluidité naturelle et un espace qui convienne à tout le monde.  Mais le canevas, lui, restait assez précis. En général, je passais beaucoup de temps à expliquer aux acteurs ce qu’ils devaient exprimer dans chaque scène, ce que je voulais qui en ressorte.

 

Parfois, ils ne me comprenaient pas. Je pense à la scène où ils sont trois dans le parc et où Zoé demande à la copine d’Adrien si elle peut l’embrasser (photo ci-dessous). Ça a soulevé beaucoup de discussions. Au début, les comédiens voyaient cela comme une perversion alors que ce n’était pas cela du tout: pour Zoé c’était un jeu. Une fois qu’ils ont saisi l’enjeu et mon intention, le texte se débloquait de lui-même

Quand je parle de mon film, c’est tellement moi, ça brûle tellement à l’intérieur que je parle très vite (ndlr. on confirme ;-). Je suis comme cela dans la vie, passionnée. Mais sur le film j’essayais de me contrôler, d’expliquer plus posément ce que je voulais et donc de m’exprimer plus lentement.

 

 

 

–          Bouli Lanners prétend que la sensation de spontanéité n’est que le fruit d’un long travail. David Murgia m’a dit que tu tournais beaucoup de prises. Or, ton film est d’un naturel confondant.

 

–          C’est vrai que je fais beaucoup de prises, au moins une dizaine. À la base c’est ma façon de travailler, mais ça l’a été d’autant plus sur le film que je collaborais avec une équipe encore très néophyte et qu’on filmait avec deux caméras. Une assurait, l’autre bougeait. Il fallait régler cette chorégraphie, trouver la justesse de la scène et être certaine que toute la technique soit OK. Cinq à six prises étaient nécessaires pour que tout tombe en place. Ensuite on cherchait à améliorer l’ensemble, poste par poste pour avoir la scène idéale, celle que j’avais en tête. Ou même mieux. Faire comprendre à tout le monde ce que je veux, leur faire accepter mon point de vue et amener les acteurs à l’interprétation que j’ai en tête, c’est beaucoup de travail en fait. Mais ça vaut le coup. Cela dit, je ne suis pas psychorigide. Chaque jour je réécrivais des dialogues afin qu’ils soient plus naturels et adaptés aux comédiens. J’avais envie de dire des choses, de les dire joliment, mais en plus que ça coule de source.

 

 

–          Sacré défi…

 

–   Je suis quelqu’un de coriace et je ne m’arrête jamais avant d’avoir obtenu ce que je veux. Mais souvent c’est une démarche qui paie. La scène du chantier a été très difficile à tourner, mais quand j’ai entendu Alice dire ce que j’avais écrit avec les intonations que j’avais imaginées et la vraie émotion juste, ça a été ultra violent. Tant que je n’arrive pas à cette perfection, je n’abandonne pas. Si je dois faire quarante prises, je les ferai. J’ai besoin d’entendre la petite musique qui trotte dans ma tête et je ne lâcherai pas le morceau. Avec moi, les acteurs n’ont pas le choix ! (on l’a senti sourire pendant toute la réponse, là elle rit vraiment)

 

 

–   Même sans te connaître personnellement, on image que ce film te ressemble terriblement, non?

 

–     Il y a des éléments autobiographiques, c’est évident. Mais je n’ai par exemple jamais écrit de lettres à Jacques Doillon si c’est ce que tu veux me faire dire. Et je pique aussi des détails et des histoires chez les personnes que je côtoie. Je ne me sens pas prête à traiter de grands sujets de société, ou à tourner un film comme À Perdre la raison. Ce sont des problèmes qui m’échappent et m’échapperont peut-être toujours. À 25 ans, il me semble naturel de parler de choses qui me sont très proches, à partir de situation vécues. La Tête la Première est plein de questions que je me posais il y a un an et demi.

 

Là, je suis déjà passée à autre chose. Mon prochain film parlera de maternité, du fait d’avoir un enfant quand on est jeune. Ce sera une comédie autour de ce besoin. C’est cela qui me concerne et me touche aujourd’hui. Et je pense que dans deux ans j’aurai encore envie d’évoquer autre chose. Je serais totalement incapable de passer trois ou quatre ans sur un même sujet: j’aurais bien trop peur qu’avant de commencer à tourner le film à faire ne m’intéresse déjà plus. Je veux que la passion brûle en moi de bout en bout. C’est très important.

 

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