Hier soir était montré en avant-première au Film Fest Gent Amal, le nouveau film de Jawad Rhalib, plaidoyer vibrant pour la liberté d’enseigner, porté par une Lubna Azabal passionnément engagée.
Jawad Rhalib est de retour, après son dernière documentaire The Pink Revolution avec une fiction radicale au coeur d’une école bruxelloise.
Avec Amal, le cinéaste belge-marocain poursuit une carrière marquée par son engagement, et son attention aux problématiques qui traversent les sociétés contemporaines. Dans Au temps où les Arabes dansaient, il questionnait l’amour de l’art de la culture arabe, et rencontrait des artistes qui luttaient par leur art contre l’intégrisme. Avec Amal, il poursuit cette réflexion en fiction, en dressant le portrait enflammé d’une professeure de littérature dans une école bruxelloise, confrontée à la levée de bouclier de certains élèves, parents d’élèves, mais aussi collègues professeurs quand elle décide d’enseigner les textes du poète arabe Aboû Nouwâs. Ces vers satiriques du 8e siècle vantant la liberté sexuelle de son auteur heurtent ces élèves du 21e siècle.
Face à Amal, la classe reflète autant d’opinions que de situations. Monia (Kenza Benbouchta) a choisi d’assumer son identité queer au grand jour, trangressant le voeu de discrétion vanté par son père, aimant mais craintif quant à la sécurité de sa fille et de sa famille. Jalila (Ethelle Gonzalez Lardued) remet son voile dès qu’elle sort de l’école. Elle tente maladroitement de contenir la colère qui l’habite, et répercute sur les autres les discriminations dont elle est victime. Rachid (Mehdy Khachachi) s’interroge sur ce qu’il croit être ses convictions, mais qui sont peut-être bien celles qu’on a tentées de lui imposer.
« Lisez, posez-vous des questions, développez votre esprit critique, vous serez libres. » L’enseignante est intimement convaincue que l’école peut être une porte ouverte sur le monde, un lieu qui permet aux jeunes gens d’élargir leur champ des possibles. Pour cela, elle s’oppose aux obscurantismes, à la censure, à la mainmise de la religion sur le champ des arts et de la littérature, et ne saurait tolérer la mise à l’écart de textes quelqu’ils soient pour éviter la « provocation ». « Apaiser les esprits », c’est le credo que martèle avec résignation la proviseure (Catherine Salée), comme abattue par les tensions communautaires. La laïcité semble avoir fait long feu dans son école, les dissensions s’aggravent au sein du corps enseignant au fur et à mesure qu’Amal revendique sa liberté de penser et d’enseigner.
C’est au coeur de cette poudrière éducative que Jawad Rhalib a posé sa caméra. Il observe avec une puissance documentaire les conflits s’égrener de cours en cours, en classe comme en salle des profs. L’assassinat de Samuel Paty est bien sûr dans tous les esprits. Il surveille notamment l’influence croissante que gagne Nabil (Fabrizio Rongione), prof de religion et imam converti tout puissant dans le quartier. Les quelques incursions dans l’intimité d’une poignée de personnages permet également de prendre un salutaire recul et de mieux comprendre la complexité du réseau qui relie chacun des membres de la communauté. Dans le rôle titre, qui semble écrit pour elle, Lubna Azabal est plus que convaincante, elle habite son personnage avec une rare intensité. Face à elle, les jeunes comédiens comme les plus confirmés incarnent avec une grande véracité les trajectoires souvent dures de leurs personnages. Jawad Rhalib ose ici le film à thèse, posant des actes narratifs qui ne laissent pas de doute sur ce qu’il dénonce, notamment le refus d’engagement par « précaution » de certains face aux extrémismes, jusqu’au sein des salles de classe.