Suivre Stephane Bissot au Festival de Cannes où elle venait présenter Alléluia de Fabrice du Welz à la Quinzaine des réalisateurs, c’est un peu comme faire du rafting dans les chutes du Niagara. Il faut s’accrocher et aller jusqu’au bout… de la nuit avec elle pour apprécier totalement la beauté qui vous accompagne.
Vous avez, en tout cas, l’assurance de ne jamais être débarqué, car Stephane est une fidèle et ne vous lâche pas. Fidèle, elle l’est à ses réalisateurs (Joachim Lafosse, les Dardenne, Nicolas Cuche…), à ses amis, à ses convictions, toujours prête à défendre une juste cause et à un sens du travail où se dépasser est la moindre des choses et réussir une nécessité pour l’équipe plutôt qu’une ambition personnelle.
Et si elle a à cœur le partage comme Madame Astrid, son personnage dans la série Melting pot café, Stephane a surtout le charisme d’une héroïne, que les réalisateurs ne lui ont pas encore donné la possibilité de jouer.
À l’écran comme sur la croisette, elle vous embarque !
Article, interview et photos (minus one) par Maryline Laurin, notre correspondante cannoise
Comment avez-vous vécu cette expérience cannoise?
J’ai longuement hésité à descendre sur la Croisette. J’étais très heureuse de savoir Alleluia à la Quinzaine, qui a été un tournage intense pour moi. Ma prestation est brève, même si Madeleine est un personnage clé. Je me disais qu’il serait mieux d’aller à Cannes avec une partition plus riche dans le cadre d’une promotion… Et puis, non, l’envie de partager l’émotion de Fabrice et de l’équipe faisant découvrir le film pour la première fois à un public de professionnels et de passionnés, d’être là pour cette grande première, de vibrer avec les « camarades » a été plus forte, je me suis décidée.
Mon agent qui me poussait à y aller en était ravi. Je ne suis descendue que deux jours, suffisamment pour savourer et ne pas me lasser. Malgré l’impression parfois qu’il s’agit plus d’un festival de bijoutiers, de stylistes et de coiffeurs, un vaste défilé, plutôt qu’un rendez-vous des amoureux du 7éme art (remettre le décor au service des œuvres) ; l’énergie cannoise et le tourbillon des passionnés de cinéma, de la vie, sont absolument réjouissants. Le show aussi.
Le spectacle est partout, sur le tapis rouge, dans les restaurants, sur la croisette. Les programmations sont alléchantes et venant des quatre coins du globe. Se côtoient une faune hyper sensible et déterminée et une faune hyper superficielle et désinvolte. Le paradoxe de Cannes, ce mélange de grande profondeur et de superficialité. J’adore cette sorte de métissage. Comme le temps qui passe du rire aux larmes, du soleil à la pluie en un claquement de doigts.
(sur le cliché ci-dessous, Stéphane est habillée par Johanne Riss – (Photo Maryline Laurin) )
Avez-vous fait de belles rencontres?
Oui. Retrouver Lola Duenas d’abord, dont je suis la meilleure amie dans le film. Lola une actrice exceptionnelle. Avec qui j’ai passé de précieux moments, authentiques comme elle dit. Beaucoup d’émotions. Fabrice (du Welz) aussi, aux anges avec ses projections. Laurent Lucas avec qui nos échanges sont chaque fois sincères, forts, qui me voit comme une grande. Et toute l’équipe, Anne Laure Guegan, généreuse, monteuse formidable, Romain Protat, scénariste, sa malice, sa délicatesse et ses K7, Manu Dacosse, chef opérateur, et sa bienveillance, Manu de Meulemeester, chef déco, sa tendresse, Vincent Cahay et Lara Persain pour la musique, nos producteurs précieux, rigoureux et heureux ce soir-là. Mon pote Kris Dewitte photographe. Reda Kateb chez Albane que j’ai quitté quelques semaines plus tôt sur le tournage du film Les chevaliers blancs de Joachim Lafosse. Christelle Cornil, Luc Dardenne. Ce réalisateur venu de Melbourne pour présenter son film au Marché, ce producteur espagnol et gentleman, ami de Lola, la famille qui m’a hébergée, et dont l’accueil était digne du Carlton…
Stéphane Bissot foule le tapis rouge derrière Quentin Tarentino et Uma Thurman(en jaune) lors de la montée des marches du film Sils Maria d’Olivier Assayas, en compétition officielle . Stephane photographiée par son ami Kris Dewitte qui l’accompagne.
Comment Fabrice du Welz vous a-t-il dirigée?
Fabrice du Welz était très inspiré sur le plateau d’Alleluia, il savait ce qu’il voulait. Il est enthousiaste, exigeant, passionné et passionnant. Il écoute et propose sans cesse. Il n’hésite pas, n’aime pas tergiverser, tourne plutôt que discuter, tourne cette proposition, puis celle-là. Ou coupe. Il privilégie l’action. Il emmène son équipe avec une passion et une conviction peu communes. Je me suis dépassée avec lui. Malheureusement cette séquence magnifique pour laquelle j’ai repoussé certaines de mes limites, pour lui et grâce à lui, n’est pas dans le montage final du film. Un crève-cœur pour tout le monde. Pour moi d’abord, mais le rythme du film a toujours raison. La scène était celle d’ouverture du film, un peu différente sur le plateau, par rapport au scénario… Fabrice pour me donner confiance, quand il m’a vue « faiblir » devant l’obstacle, m’a prise par la main pour m’emmener voir la première prise au combo. C’était beau, trouble, sensuel, décadent, fascinant. J’y suis retournée en mordant sur ma chique, me donnant voluptueusement sans plus réfléchir. Fabrice ne laissera rien passer du moindre « shnoquage » d’acteur. Il demande une vérité de tous les instants, tout de suite, maintenant. J’ai appris avec lui.
(Photo Maryline Laurin)
Comment s’est passé l’accueil du public cannois?
J’étais à la projection du soir pas à celle de l’après-midi.
Le public était très réceptif. Les applaudissements et les bravos nourris. Je pensais que le film serait trop violent, dur, moi qui peux être parfois trop empathique, je pensais que je passerais la séance le visage caché dans mes mains. Que le film parlerait essentiellement aux cinéphiles et aux amateurs de genre et puis non, il s’agit d’une expérience de cinéma, féroce, drôle, puissante, à l’humour noir et savoureux. Alléluia est un film unique, à mon sens. Une œuvre rare. La rencontre du gore, de l’expressionnisme, de Lynch et des Cohen à travers une sombre et grande histoire d’amour, de passion, de possession, à fleur de peau, des cadres et une image au style impeccable, des acteurs incandescents, du grand du Welz quoi, un réalisateur incroyable.
Deux vieilles dames au sortir de la salle, à qui je demande si elles ont aimé le film, me répondent avec des étoiles dans les yeux et un sourire coquin « Oh oui… C’est spécial »…
Stephane Bissot et Emmanuel De Meulemeester (Chef décorateur) – (Photo ci-dessus et ci-dessous Maryline Laurin)
Avez-vous senti une différence entre votre venue à Cannes cette année pour Alléluia et celle pour le film de Joachim Lafosse A perdre la raison en 2012 ?
Rien de commun avec l’année À perdre la raison, hormis la présence précieuse de Jacques Henri Bronckaert, de tous les bons coups, je ne peux pas comparer ces expériences, ce serait un peu comme comparer deux amours, cela n’a pas de sens, chacun contribue à me faire ce que je suis et ce que je deviens…
Quels sont vos projets?
Je serai à la mi-juin au Festival du film de Cabourg pour la présentation du film de Julie Lopez Curval, Le Beau Monde, avec Ana Girardot, Bastien Bouillon, Sergi Lopez, Baptiste Lecaplain, Aurélia Petit, India Hair…
En tournage en juin et juillet comme guest sur les deux derniers épisodes de la série Engrenages pour Canal+. Suite du tournage pour Sauvez Wendy de Patrick Glotz, avec Sam Louwijk, Jean Luc Couchard, Michel Schillaci, Arsene Mosca, Camille Schotte, Christelle Delbrouck… Heureuse de la diffusion de Melting pot café sur TV5 monde et des messages de fans belges bien sur, mais aussi argentins, brésiliens, iraniens, turcs, français… Cela fait une sensation étrange de savoir la série aimée si loin, dans des pays où je n’ai jamais mis les pieds. Cela me rend plus perméable encore au monde, on est tous incroyablement proches. D’autres tournages se profilent, on croise les doigts. Je suis passée à un cheveu d’Haneke, j’y songe encore…
Je suis à la recherche de partenaires pour monter un texte de mon cru.
De la musique. De l’écriture. Du jeu. Des rencontres encore. Des retrouvailles. Du mouvement.
Vendredi 6 juin à 18h45 projection d‘Alleluia au Forum des images à Paris dans le cadre de la reprise de la Quinzaine des réalisateurs. Plus de détails ici