« Ailleurs partout », ici et nulle part

Avec Ailleurs partout, documentaire saisissant, Viviane Perelmuter et Isabelle Ingold livrent le portrait en creux d’un monde sous surveillance, à travers l’errance momentanément immobile de Shahin, jeune migrant iranien en transit.

Un jeune homme dans une chambre, quelque part en Angleterre. Sur l’écran d’un ordinateur, des images des quatre coins du monde. On traverse les frontières en un clic tandis que le récit d’un autre voyage nous parvient par bribes, à travers des textos, des chats, des conversations téléphoniques, l’interrogatoire d’un office d’immigration. C’est le voyage de Shahin, un jeune Iranien qui fuit seul son pays. 

Jamais on ne verra Shahin. On l’entend, on le sent. On apprend à la connaître. On l’écoute lever le voile sur son odyssée vers une nouvelle vie. Une vie normale. « C’était après la fin, ou peut-être le commencement. »

Shahin est ailleurs, loin de chez lui, encore partout, un peu nulle part, en attendant d’être ici, là où la vie va recommencer. Il observe le monde, attendant d’y prendre part. Il rêve de voyager, mais son passeport git au fond de la cuvette des toilettes de l’avion qui l’a ramené de Grèce en Angleterre. Alors de sa chambre d’une cité pauvre du Nord de l’Angleterre, il navigue, imagine-t-on, d’images de surveillance en images de surveillance, se déplaçant dans un monde hachuré, grésillant, comme sur un échiquier, avide d’y trouver sa place.

Il se  confie sur les espoirs et les incertitudes de l’exil. Alors qu’à l’image se succèdent celles de caméras de surveillance du monde entier, le récit de Shahin se dit et s’écrit. Les mots sont au coeur de ce dispositif cinématographique radical et sans concession. Ils interpellent, résonnent, font écho.

Ce rêve éveillé que semble vivre Shahin, en attendant que commence la vraie vie, est nimbé d’une aura magnétique. Hypnotisé par ces images mondialisées qui se répondent comme dans une partie de ping pong, on est plongé dans le récit de Shahin, suspendu à son sort, comme à autant de fragments d’un parcours singulier qui est aussi celui universel du migrant des temps modernes.

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