Avec Adoration, Fabrice du Welz livre un conte âpre et sensoriel, aussi lumineux qu’effrayant, sur l’amour fou qui unit un jeune garçon innocent et une jeune fille psychologiquement fragile.
« Il suffit d’un peu d’imagination pour que nos gestes les plus ordinaires se chargent soudain d’une signification inquiétante, pour que le décor de notre vie quotidienne engendre un monde fantastique. Il dépend de chacun de nous de réveiller les monstres et les fées ».
Ainsi s’ouvre Adoration, sur une citation de Boileau-Narcejac empruntée à Georges Franju, qui la mettait déjà en exergue de son court métrage La Première Nuit. Une référence au réalisme magique du cinéaste français qui annonce clairement la couleur: le spectateur est invité à un voyage fantastique peuplé d’ombres étranges, de personnages inquiétants, mais aussi de beauté et de lumière.
Le film suit les traces de Paul, jeune garçon qui vit avec sa mère, à l’orée d’une étrange forêt, dans un petit pavillon à l’entrée d’un hôpital un peu particulier. Un jour, il est sorti de sa léthargie par l’apparition d’une jeune fille qu’il n’attendait pas. Comme une épiphanie. Pourtant la solaire Gloria va peu à peu dévoiler une face plus sombre.
Résolue à s’échapper de l’institut dans lequel elle se sent prisonnière, elle entraine Paul dans sa fuite. Paul et Gloria se complètent, il est hésitant, elle est déterminée. Ils ont encore un pied dans l’enfance, mais commencent à en sortir. Au fil de l’eau, leur échappée belle va se muer en cavale. Car Gloria est malade. Et si leur rencontre tourne vite au coup de foudre, l’orage gronde.
Adoration est un film résolument sensuel. L’approche du cinéaste est viscérale, et fait écho au caractère absolu de l’amour qui terrasse le jeune Paul, pas forcément préparé à ce déluge de sentiments, mais prêt à l’affronter. Un amour qu’il embrasse avec une force qui tend au mysticisme. Un innocent magnifique, sur le point d’être dévasté d’amour.
La caméra, organique, s’immisce au plus près des corps, magnifie la nature. Une nature captivante et merveilleuse, théâtre magistral du réalisme magique qui infuse le film plan après plan, de l’oiseau blessé à la forêt magique, de l’eau comme lieu de passage aux différents tunnels; le récit se mue en conte de fées moderne, avec en son coeur, l’âpreté des contes de fées traditionnels. Ce rite initiatique, ce coming-of-age est servi par le travail magnifique sur la direction artistique, de la lumière des images de Manu Dacosse (le film est tourné en pellicule), à l’envoûtante musique de Vincent Cahay, en passant par les décors, sublimés par Emmanuel de Meulemeester.
Avec la maladie qui peu à peu reprend ses droits se débrident les imaginaires. On plonge dans un monde onirique, à tendance cauchemardesque. Les enfants perdent pied, le lien avec le réel. Une fois encore, la folie s’impose comme un territoire cinématographique à explorer pour Fabrice du Welz, cette fois-ci par le prisme d’un amour fou d’une pureté absolue, celui d’un innocent pas encore totalement sorti de l’enfance, une enfance pure et sauvage, puissante et intransigeante. On est loin ici de toute vision édulcorée de l’enfance.
Paul est incarné par le fantastique jeune comédien français Thomas Gioria, découvert dans Jusqu’à la garde. A ses côtés, la jeune actrice belge Fantine Harduin, que nous avions d’ailleurs rencontrée sur le tournage, prête avec caractère son regard troublant à l’énigmatique Gloria. Après s’être faite remarquée dans des films aussi différents que Happy end de Michael Haneke, Amin de Philippe Faucon (deux films pour lesquels elle a d’ailleurs monté les marches à Cannes), ou Dans la brume de Daniel Roby, après avoir été l’une des héroïnes principales de la saison 2 d’Ennemi Public, elle confirme ici avec talent son statut de jeune espoir du cinéma belge.
Face à eux, tels d’incessants obstacles, se succèdent les adultes. On retient bien sûr l’impeccable Peter Van Den Begin (The Barefoot Emperor, The King of the Belgians, Angle Mort), l’énergie de Charlotte Vandermeersch (De Premier, Belgica) ou encore un Benoît Poelvoorde décidément surprenant, qui traine son élégante désillusion dans le dernier tiers du film.
De nombreux autres comédiens belge sont également à l’affiche, à commencer par Anaël Snoek (nommée cette année pour le Magritte du Meilleur espoir féminin) qui joue la mère de Paul, ou Martha Canga Antonio, découverte dans Black, ainsi que des apparitions de Pierre Nisse, Jean-Luc Couchard ou encore Renaud Rutten.
Le voyage de Paul et Gloria nous mène au coeur de l’embrasement amoureux. Si Adoration clôt donc un chapitre, celui de la trilogie ardennaise du réalisateur (complétée par Calvaire et Alleluia), il ouvre aussi une nouvelle brèche, peut-être plus personnelle, dans la filmographie de l’auteur.
Le film représente certainement un tournant dans l’oeuvre du cinéaste belge, qui s’il a souvent traité d’amour, ne s’y est jamais vraiment laissé aller, affichant un goût certain pour le grotesque et l’hémoglobine comme une carapace qui ancraient ses films du côté du genre. S’il revendique toujours ce positionnement (du genre toujours, non plus lorgnant vers l’Amérique, mais vers le cinéma francophone des années 50), on tend cette fois-ci clairement vers quelque chose de plus épuré et poétique. Une rupture, et surement ouverture, vers un cinéma qui tend vers l’intime.
Adoration est produit par Panique! en Belgique, et coproduit par Savage Film. Il sera projeté en avant-première belge lors du prochain Festival International du Film Francophone de Namur, et pourrait sortir dès le mois d’octobre.
Copyright photos: Kris Dewitte