Adil & Bilall: « Rebel est un film historique, la guerre en Syrie est celle de notre génération »

A la veille de la sortie de Rebel, leur nouveau long métrage réalisé et produit en Belgique, rencontre avec les wonder boys du cinéma belge, Adil El Arbi et Bilall Fallah, qui nous parlent de ce projet extrêmement ambitieux et personnel. 

A quand remonte l’envie d’aborder la question des jeunes Belges partis rejoindre la Syrie?

Bilall Fallah

Ca remonte loin déjà, à 2013 je crois. Je viens de Vilvoorde, et la plupart des jeunes Belges qui sont partis en Syrie venaient de Vilvoorde, parmi eux il y avait des copains, des voisins. C’est devenu un phénomène, les premiers départs ont entrainé les suivants. Certains sont revenus en Europe pour faire des attentats en Belgique et en France.

Ca m’a choqué, et ça m’a blessé. C’était des jeunes qui a priori avaient le même profil que moi, le même profil qu’Adil.

De jeunes belgo-marocains de confession musulmane. On s’est dit qu’il fallait que nous, nous racontions ces histoires, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’auteurs ou d’autrices marocain·es à la télévision ou au cinéma. Il fallait que l’on puisse raconter l’histoire de notre point de vue, avec complexité et nuance. 

Vous souhaitiez parler de votre point de vue, et adopter un langage cinématographique grand public pour toucher le plus grand nombre, rendre l’histoire accessible à un public très large? 

Adil El Arbi

On s’est posé la question: c’est quoi, le meilleur genre, pour raconter ce type d’histoire? Nous on aime beaucoup la musique, on a grandi avec la culture arabo-musulmane, sa musique, sa poésie, des récits comme Les Mille et une nuits, on voulait essayer de faire une sorte de Mille et une nuit moderne, en imaginant une tragédie musicale où l’on puisse raconter beaucoup de choses très complexes en peu de temps, recourir aussi à la musique et à la danse pour s’adresser plus directement au public. Créer l’empathie et l’émotion par la musique.

Et puis l’Etat islamique lutte contre la musique, et ça nous semblait approprié d’utiliser la musique comme une arme culturelle, pour raconter cette histoire. C’est une vision du monde obscurantiste, où il n’y a presque pas de chant, de musique.

Or la culture arabo-musulmane, c’est la danse, les instruments, le chant féminin.

Parlez-nous un peu de Kamal?

Bilall Fallah

A l’époque où part Kamal, si beaucoup de jeunes qui partent à ce moment-là sont déjà radicalisés, certains d’entre eux ont d’autres motivations. Leur objectif était d’aider les gens, ils étaient horrifiés par les nombreux civils tués par la guerre en Syrie, et par l’indifférence dans laquelle étaient commis ces crimes, ils voulaient lutter contre Bashar el-Assad. C’est ça l’histoire de Kamal, certes c’est un dealer, il verse dans la petite criminalité, mais il a un bon coeur, il veut faire le bien, rendre sa mère fière de lui. Il n’est pas parti pour ça, et il se retrouve enrôlé dans l’Etat Islamique malgré lui. 

Adil El Arbi

On a fait beaucoup de recherches sur ces situations spécifiques, on a parlé avec des familles dont les enfants sont partis. C’était surtout au début, vers 2012-2013, juste avant la proclamation de l’Etat Islamique. On s’est inspiré de tous ces témoignages pour créer notre personnage. 

C’est un profil qu’on a peu vu dans les discours mainstream, celui d’un jeune homme qui a des encore des idéaux au moment de partir. 

Adil El Arbi

Oui, alors que c’est arrivé très souvent au début des années 2010. Bien sûr il y avait des extrémistes, mais certains jeunes étaient partis rejoindre les rebelles. Les rebelles, c’était un grand mélange de Syriens qui se battaient contre Bachar, de jihadistes, de combattants d’Al-Qaida, tous soutenus par l’Occident, qui fournissait les armes, des finances même. C’est après que la situation a évolué, et que Daech s’est mis à combattre les rebelles, comme une guerre de gang, une guerre de cartel.

Pouvez-vous m’en dire plus sur les personnages qui gravitent autour de Kamal?

Adil El Arbi

Il y a son petit frère, qui n’a pas de père. Quand Kamal part, il devient une vraie proie pour les recruteurs. Il est isolé psychologiquement. Les recruteurs, sous couvert de parler d’Islam, opèrent une vraie manipulation psychologique.

Leur mère est une victime elle aussi, elle a tout essayé pour empêcher son fils de partir, et malgré ses démarches nombreuses, les autorités n’ont rien fait pour l’aider, et éviter le départ, qu’elle avait pourtant prévu.

Quant à Nour, elle représente les femmes syriennes, qui ont été les premières victimes de Daech. Quand ils conquéraient une ville, ils la mettaient sous occupation. Ils ont marié de force des femmes sunnites à Rakah ou Mossoul, réduit à esclavage les femmes Yezidih, ils ont fait des femmes leurs objets.

Pour avoir un regard complet sur l’histoire en marche, il fallait essayer de mettre la lumière sur tous ces aspects là de cette guerre.

On peut dire que vous représentez le cool, le succès, des gendres idéaux en quelque sorte, pourtant dans le film on sent une vraie colère, et l’envie de dynamiter certains clichés. Est-ce que votre image vous permet d’aller gratter là où ça peut faire mal? 

Adil El Arbi

Ca nous permet de faire ces histoires-là, d’alterner entre nos projets hollywoodiens grand public, très commerciaux, et de revenir en Belgique pour parler de sujets difficiles, mais bien réels, qui touchent tout le monde. On tient à le faire de façon accessible, tout en étant convaincus que le cinéma ne peut pas être que de l’évasion. Alors bien sûr, on a essayé de faire en sorte que notre film soit divertissant, il y a du spectacle, comme on peut en trouver dans Le Soldat Ryan par exemple, qui donne pourtant à voir une réalité crue de la deuxième guerre mondiale. 

Pour nous, Rebel est un film historique, cette guerre en Syrie, et la guerre contre le terrorisme, c’est notre guerre à nous, celle de notre génération, comme la guerre du Vietnam a pu être celle d’Olivier Stone par exemple. 

Est-ce que vous vous êtes mis des limites dans le traitement de la violence?

Adil El Arbi

Il fallait doser pour que le film soit quand même accessible à un public relativement jeune. On a essayé de rester suggestif, on voit plus le résultat de l’acte violent que l’acte lui-même. On aurait pu faire des scènes d’action classiques en plan large, mais on voulait rester auprès des personnages. Et ne pas être trop explicite. La violence psychologique qui s’exerce me semble de toute façon beaucoup plus dur que la violence physique et graphique.

Comment avez-vous pensé les scènes de danse, les aviez-vous en tête dès le début?

Adil El Arbi

On savait qu’on voulait que la musique prenne une place prépondérante, et il nous semblait que recourir à la danse était une évidence, tout comme c’était une évidence pour nous de nous tourner vers Sidi Larbi Cherkaoui, c’est un belgo-marocain comme nous, c’est l’un des meilleurs chorégraphes du monde. Il a livré une interprétation remarquable du scénario. On tenait à deux moment chorégraphiés, et quand on a découvert les danses, on s’est retrouvés pris par l’émotion, beaucoup plus qu’avec juste le texte et la musique. Pendant le tournage, on a décidé d’ajouter une troisième danse à la toute fin du film, ce qui s’est avéré particulièrement compliqué parce qu’il a fallu avoir la musique à temps, travailler dans l’urgence. Le chant, les chorégraphies, les mouvements des danseurs et des caméras, on a compris pourquoi il faut souvent des budgets hollywoodiens pour faire des comédies musicales!

Les scènes musicales, c’est aussi dur à faire que des scènes de guerre!

Comment avez-vous travaillé sur les musiques, les raps de Kamal, ainsi que les musiques orientales?

Bilall Fallah

Hannes de Mayer a écrit les musiques avant le tournage, et la chanteuse et compositrice Oum qui a écrit les textes poétiques en arabe qui rythment le récit, associés à la calligraphie. Pour chaque scène, on s’est demandé comment traduire l’histoire dans la musique, sans être trop littéral pour autant. Même pour les scènes de guerre ou les scènes de combat, il y avait une rythmique, sans que ce soit vraiment de la musique. Mais Hannes était là sur le plateau pour diriger le sound design. Il a réalisé, écrit l’histoire avec nous en fait. Et puis Aboubakr Bensaihi, qui a une grande connaissance de la culture hip hop, a aussi écrit les textes lui-même.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le casting justement?

Adil El Arbi

Aboubakr, c’était une évidence. Il vient de Molenbeek, comme nous il connaît des jeunes qui sont partis, sont devenus extrémistes, cette histoire lui tenait aussi très à coeur. On voulait nous approprier avec lui cette histoire. Et puis c’est un rappeur, il est très physique, il a une authenticité précieuse. Il a tout de suite compris le personnage, d’autant qu’il a côtoyé des gars comme Kamal.

Aboubakr, je crois qu’il avait cette histoire en lui.

Il est plus qu’un acteur, il est presque un metteur en scène avec nous. 

Amir El Arbi, c’est mon petit frère! Il s’amusait à faire des petits sketchs pendant le confinement, et un jour je l’ai filmé. J’ai montré la video à Bilall, et on s’est dit qu’il avait quelque chose, que ce serait intéressant de lui donner une chance. Il a fait des auditions, et su convaincre les producteurs. Après ça il a suivi un coaching pendant un an avec un professeur de théâtre. On a beaucoup parlé du scénario avec lui. 

Bilall Fallah

Quant à Lubna Azabal, on est fan depuis tellement longtemps. C’est une légende, et puis c’est une belgo-marocaine elle aussi, c’est une histoire qui lui est proche, et qui lui tenait à coeur. On lui avait déjà proposé ce type de rôle, mais j’imagine qu’avec nous elle était en confiance, surement parce qu’on partage des origines. Elle a fait énormément de recherches, elle a parlé avec de nombreuses mères de famille qui ont connu ce genre de situation. 

Qu’est-ce qui vous a guidés dans l’écriture et la réalisation? 

Adil El Arbi

Essayer de raconter cette histoire dans toute sa complexité et sa nuance.

Même si le film ne devait pas être trop long, il fallait veiller à ne pas produire une histoire trop simpliste, un récit trop réducteur. On voulait prendre le temps de revenir sur le conflit, les rebelles, avant de parler de l’Etat Islamiste. Montrer comment on peut se radicaliser dans le chaos de la guerre. Montrer l’humanité de nos personnages aussi.  

Quelles ont été les premières réactions du public?

Adil El Arbi

On a été surpris parce que tout le monde pleure à la fin, et les gens ont besoin d’en parler en sortant! Le film ne laisse pas indifférent, et ouvre le dialogue. Pour nous ce film est un document historique. On espère qu’une chose pareille n’arrivera plus jamais, que ce chapitre là de l’histoire belge est terminé. Et que le film pourra permettre de nourrir cette conversation et cette analyse de l’histoire récente. C’est une décennie que l’on doit étudier pour ne pas reproduire les erreurs du passé. 

Quels sont vos projets?

Bilall Fallah

On développe Paster 2. Le monde de la drogue à Anvers est de plus en plus dingue, c’est comme si la réalité rattrapait la fiction!  On n’a pas de projets immédiats aux Etats-Unis, mais on est prêts à repartir s’il le faut !

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