Le festival Cinéma du réel mêle documentaire, essai et expérimentation dans des sélections qui reflètent la diversité des genres et des formes d’approche cinématographiques du monde. Elle en fait l’un des rares festivals de cinéma documentaire qui mettent l’accent sur le patrimoine et la mémoire du genre, tout en les faisant dialoguer avec la création contemporaine.
Découvreur de jeunes talents, Cinéma du réel est tout aussi attentif aux cinéastes confirmés dont il donne à voir les dernières œuvres comme les films plus anciens. Le festival a ainsi contribué à révéler sur la scène internationale de nombreux réalisateurs, aujourd’hui connus du grand public.
L’édition 2016 se dérouler du 18 au 27 mars dans plusieurs lieux culturels parisiens.
Trois films belges y participent.
La deuxième nuit
d’Eric Pauwels (Stenola) – Compétition internationale
Futur, présent, passé : après l’injonction d’avenir de Lettre d’un cinéaste à sa fille et le voyage au présent à travers un jardin de films à faire (Les Films rêvés), Eric Pauwels interroge l’origine.
Très concrètement d’abord, puisque le corps dont il est sorti il y a soixante ans, celui de sa mère, s’étiole doucement. Origine du cinéma aussi, des Chaplin goûtés enfant dans un café avec elle, à la magnifique injonction qu’elle lui fit jeune homme : celle de faire du cinéma si tel était son souhait. En apparence anodin, ce conseil porte la marque de l’effacement d’une génération de femmes dans le mariage et la maternité.
Ainsi procède La Deuxième Nuit, entre première et deuxième personne, collage vibrant de couleurs et de formats, de souvenirs et d’objets, qui ne sont pas des memento mori mais des traces du passage du temps. Brièvement convoqués, d’autres artistes de la mère (Camus, Pasolini) s’insèrent à égalité dans la mosaïque avec les « Je me souviens » intimes (les séances de vaisselle) et les associations singulières (un geste à la signification particulière chez les Pauwels, explicité sur des images de théâtre d’ombres).
Unifiée par le regard bienveillant de la mère, la variété de cette moire adoucit son départ, la cruelle « deuxième deuxième nuit ». Pas funéraire pour un sou, une joyeuse fanfare de jeunes musiciens s’éloigne au fond du champ, comme Charlot prend congé à la fin de ses films, marchant de dos vers la liberté
Reveka
de Christopher Yates et Benjamin Colaux (Playtime) – Compétition internationale Premiers films
En Bolivie, quatre mineurs d’une petite concession familiale descendent chaque jour dans les entrailles de la « mangeuse d’hommes ». Le Cerro Rico a englouti des millions de mineurs depuis cinq siècles, esclaves indiens et africains puis indigènes sous domination espagnole.
Dans le splendide panorama qui ouvre le film, un orage se prépare, mais ce sont des détonations de dynamite que l’on entendra. Les mineurs comptent le nombre d’explosions pour ne pas revenir trop tôt. L’archaïsme de cette technique périlleuse n’a d’égal que la lucidité de chacun quant à la probabilité d’un accident. C’est d’abord par leur travail sur l’ombre et la lumière que les réalisateurs suggèrent la fragilité du site et des hommes – un feu allumé près du puits, ou la pénombre de l’enfer intérieur. L’immense montagne, on l’apprend dans le journal, menace de s’effondrer.Bientôt la vulnérabilité se lit partout, au cimetière des silicosés, et même chez le tatoueur, dont l’aiguille a des allures de marteau-piqueur miniature.
Reveka (Rebecca), le nom de la concession que dirige Hilarion, est hitchcockien et hanté malgré lui : le mineur est persuadé que les âmes des collègues écrasés continuent d’errer. La peur s’invite jusqu’à la table familiale ; est-ce un hasard si la fille du mineur lit Les Trois Petits Cochons, qui changent maintes fois de maison en quête d’une illusoire solidité?
Besos Frios
de Nicolás Rincón Gille (VOA films) – Compétition internationale courts métrages
À la périphérie de Bogota, les voix de jeunes gens assassinés par l’armée semblent résonner encore pour leurs mères. Nicolás Rincón Gille
procède ici avec le même alliage de rigueur et de sensibilité à l’œuvre dans les précédents films de son projet au long cours, Campo hablado, qu’il a défini comme « quelque chose qui se construit au moment où on le dit ». Le plus souvent off, les témoignages des mères construisent en effet une présence qui relève a priori de l’impossible. Une mère se souvient par exemple que son fils aimait reconnaître des formes dans les nuages, et l’image du film prend le relais de ses paroles.
La réalité colombienne récente a brusqué l’imaginaire oral traditionnel sans pour autant le faire taire : il s’adapte, invente une communication avec les « âmes bénies » de ceux dont les croix de bois, plantées sur des tombes aux restes incomplets, ne portent que les dates de décès. Les fragments de vie quotidienne des mères, ciselés dans la durée brève du film, sertissent avec force l’évocation des « baisers glacés » que les fils leur adressent au bord du sommeil.
En deçà du surnaturel, mais au-delà de la superstition, un dialogue s’ébauche, que l’écoute attentive du cinéaste prolonge avec une infinie tendresse. Le carton final, factuel dans son évocation de la violence d’État, vient amplifier vers le collectif et le politique ces délicats éclats individuels.