7, rue de la Folie : Petits meurtres entre amies

Attention, bombe incendiaire ! À manipuler avec une extrême précaution.

D’abord situer l’enjeu… Imaginez la rencontre impromptue de Morrocan Gigolos d’Ismael Saïdi et d’Alleluia de Fabrice Du Welz.
Vous n’y arrivez pas ? C’est assez normal…

 

Représentez vous donc plutôt une version (faussement) hallal de Petits Meurtres entre amis, filmé dans une ferme hennuyère.

OK… Là, vous avez une idée un (tout petit peu) plus précise.

Mais, je le vois bien : vous restez circonspects…

 

Le pitch de 7, rue de la Folie ? Trois sœurs marocaines vivent à la campagne. L’aînée y a accueilli sa petite amie. Ces deux-là, pour autant que le mot ait un sens ici , sont les plus « normales » du quatuor.

« Normales », étant pris ici dans le sens étymologique de la norme généralement acceptée.

 

Les deux plus jeunes sont, comment dire, plus… originales. Voire carrément schtarbées. Borderline comme on dit assez justement en anglais.
On s’apercevra progressivement qu’elles ont pas mal d’excuses. Même si le réalisateur ne cherche pas à moraliser son propos.

 

 

Le film débute par un enterrement. Mais en pleine nuit. Et sans témoin. Difficile dans ces conditions de savoir exactement où se situe la Mecque pour que le mort repose en paix.

Ce qui donne peut-être une petite idée de l’identité du défunt… Et du contexte de son décès.

 

Dans la foulée, on apprend que la famille est terriblement endettée. Si 15.000 euros ne sont pas trouvés en quelques semaines, la bâtisse sera vendue. Et adieu la vie tranquille qui commence à peine.

Comment dénicher une telle somme ? Ha oui, mais c’est bien sûr : en créant femhallal.com, un site de rencontres destiné à attirer en Belgique de pieux musulmans désireux d’obtenir un titre de séjour en passant par un mariage blanc.

D’où la connexion, à présent évidente avec Morrocan Gigolos.

 

Mais rien ne va se dérouler comme prévu et, bien vite, la situation dérape grave de grave.

Sans avertissement, on plonge alors dans un univers qui alterne les scènes dramatiques et d’autres, carrément hilarantes, le tout servi sur une trame de thriller et un fond de folie douce : là, on pense assez souvent aux audaces narratives et visuelles de Fabrice Du Welz et plus précisément aux exactions du couple vedette d’Alleluia. Deuxième connexion opérée.

 

Pour le reste : des auditions aux coups de pelles, de l’ironie à la démence, on est clairement dans le petit monde sanglant de Danny Boyle, revu et corrigé par Jawad Rhalib… qui va bien au-delà de ce que le cinéaste britannique a pu nous proposer.

 

 

Même si son nom ne vous est peut-être pas encore très familier, l’homme n’est pas un débutant : El Ejido, la loi du profit, sorti en salles en Belgique et en  France en 2007, décoche plusieurs prix dont celui du meilleur documentaire au Fespaco. Le cinéaste signe ensuite Les Damnés de la mer en 2008 qui sera retenu en compétition officielle à l’IDFA – Amsterdam, et recevra notamment le Prix du public au prestigieux Festival Visions du réel de Nyon.

En 2009, il tourne son… 7e court métrage de fiction, Boomerang, sélectionné au FIFF, puis le documentaire Le Chant des tortues, présenté au FIFF en Focus Cinéma belge francophone en 2013.

 

Fort de ce background déjà impressionnant, Jawad s’essaie ici à toute autre chose et démontre des qualités assez bluffantes de directeur d’acteurs tandis que son chef opérateur François Schmitt délivre une image assez épatante.

Scénariste et dialoguiste inventif, le réalisateur jongle avec les genres, mais surtout avec les tabous de la bonne société marocaine qui risque de ne pas goûter totalement à ses facéties subversives. Ni à ses audaces narratives. Sans hésitation, il dynamite les clichés et les conventions sociales en même temps qu’il se joue des codes habituels du cinéma. Non seulement, Jawad ose l’humour acide et très peu consensuel (attendez de voir l’animal de compagnie favori de la cadette) dans un contexte qui semble a priori ultra réaliste, mais il s’autorise aussi des libertés de mise en scène qui vont presque jusqu’à évoquer le free cinéma britannique oscillant entre partis pris esthétiques et gros délires. Étrange ? Oui, on peut le dire..

 

 

Huis clos campagnard, 7, rue de sa folie repose également sur l‘interprétation impressionnante de ses quatre actrices principales : Sofia Manousha, Ouidad Elma, Lamia Ryl et Dorothée Capellutto , toutes remarquables, chacune dans son registre.
Mention spéciale aussi à Malik Akhmiss, seule figure masculine à s’insérer au cœur du quatuor. Pour le meilleur… et surtout pour le pire.

 

Sélectionné au Festival de Valladolid ainsi  qu’au Festival du Nouveau Cinéma de Montréal, 7, rue de la Folie a été présenté au FIFF l’an dernier avant de remporter deux prix au Maroc.
Il sort aujourd’hui porté par la volonté farouche de son réalisateur qui a , entretemps, terminé un autre long métrage, Insoumise.

 

A ce stade, on ignore totalement si le film rencontrera son public, mais on l’espère de tout coeur : ce n’est pas tous les jours qu’un film nous décontenance et nous secoue avec autant d’audace.

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