3 questions à… Théo Degen

Rencontre avec le jeune réalisateur belge Théo Degen, qui présentait la semaine dernière son court métrage de fin d’études L’Enfant Salamandre à la Cinéfondation de Cannes, où il a reçu le prestigieux 1er Prix.

D’où venez-vous Théo, et d’où vient votre envie de cinéma?

Je suis né à Bruxelles, puis j’ai grandi près de Wavre. Adolescent, j’étais assez solitaire et renfermé, je vivais surtout dans les livres et dans les histoires. J’avais un ami, Felix de Caluwe, qui fait aussi du cinéma aujourd’hui, avec lequel on regardait énormément de films, on lisait plein de magazines. On était un peu des nerds du cinéma, et je crois que c’est comme ça que j’ai commencé à rêver de faire des films.

On s’est mis à faire des petits films, d’abord pour rire, des choses un peu rigolotes et bêtes. Et puis petit à petit, notre cinéphilie s’est construite à deux. Cette passion que l’on vivait parallèlement à notre scolarité nous a permis de rester motivés pour continuer nos études, avec pour objectif de faire une école de cinéma, et surtout, le cinéma dont on avait envie. Finalement lui a fait l’IAD, moi l’INSAS, on a chacun développé nos familles de cinéma, mais on continue à participer aux tournages de l’un et de l’autre.

Il faut dire aussi que mes parents ont beaucoup nourri mon désir de fiction. Ils me lisaient beaucoup d’histoires, on regardait de vieux films… Le film parle de ça en fait. Quand j’ai perdu mon père, je me suis réfugié dans sa passion pour les histoires, pour un monde un peu magique, irréel. C’est là aussi, à l’endroit de la fiction, que j’ai pu faire mon deuil.

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Ma cinéphilie a pas mal évolué depuis l’adolescence, j’ai d’abord regardé beaucoup, beaucoup de films, j’étais dans une sorte de boulimie, je voulais tout découvrir, des blockbusters aux films d’auteur. Petit à petit, mes goûts ont commencé à s’affirmer, et à aller vers un cinéma un peu magique, ou un peu étrange, comme les films de David Lynch. Un cinéaste comme Bruno Dumont, et notamment P’tit Quinquin, que j’ai découvert à la fin de l’adolescence, m’a beaucoup marqué, et fait réfléchir sur mes propres envies de cinéma. Ca a révolutionné ma manière de voir les choses, notamment dans le rapport aux comédiens non-professionnels.

Mais j’ai aussi été nourri par des films très populaires comme Star Wars, Harry Potter, ou Le Seigneur des Anneaux. Tous ces films ont en commun de ne pas être naturalistes. Le cinéma comme royaume de l’imaginaire, échappatoire de la réalité, c’est quelque chose de très important pour moi. J’aime bien aussi d’ailleurs le cinéma asiatique, que ce soit celui d’Apichatpong Weerasethakul ou Bong Joo-Ho dans un autre registre, mais toujours des cinémas qui flirtent avec le merveilleux, voire le fantastique.

Quelques mots à propos de L’Enfant Salamandre?

Ce film s’inscrit en fait dans la continuité d’un travail que j’ai entamé avec mon jeune comédien, Florian Villez. Je l’ai rencontré quand il avait 10 ans, moi j’avais 16 ans. J’ai fait mon tout premier film avec lui. Cette rencontre a été déterminante. J’avais casté deux comédiens professionnels, et Florian qui tenait un second rôle, et je me suis aperçu que j’avais adoré tout particulièrement travailler avec Florian. Il y a quelque chose qui me plaisait moins dans le travail avec les comédiens professionnels.

Du coup j’ai continué à faire des films avec lui, il était de tous mes exercices à l’Insas, on a fait 5 films ensemble. On a appris à se connaître et à travailler ensemble. D’un côté, je raconte un peu son histoire, ce qu’on retrouve dans L’Enfant Salamandre dans toute la partie qui parle de harcèlement, d’être traité comme un monstre. La partie plus tournée vers le monde imaginaire, le monde des fantômes, fait écho à mes propres croyances quand j’étais adolescent. Ce film est un peu un mélange de sa vie et de ma vie.

L’envie avec ce film, c’était de montrer à l’écran, rendre réelles les croyances que j’avais adolescent, auxquelles je croyais dur comme fer. Le personnage de Florian est devenu un peu une sorte d’alter ego pour moi. L’idée était de mêler le réel, à travers le personnage de Florian, c’est son village, son père, et l’imaginaire, à travers mon expérience, quelque chose de plus écrit.

Il y avait une volonté de mélanger réalité et merveilleux, avec des acteurs non-professionnels. On a les vrais habitants du village, on fait advenir le merveilleux dans leur réalité, finalement.

Je n’ai jamais eu envie de faire des films naturalistes, pour moi, le cinéma est par essence magique, je l’ai utilisé comme un antidote face au deuil. Le cinéma pour moi sert à transcender la réalité, à ouvrir des portes sur des mondes imaginaires.

Que représentent cette sélection et ce prix à Cannes, et comment voyez-vous la suite?

C’est complètement fou en fait cette aventure. Quand on fait l’Insas, on se dit que ce qui pourrait arriver de meilleur en terminant l’école, c’est que le film de fin d’études soit sélectionné à Cannes, à la Cinéfondation. C’est un rêve plutôt inaccessible, je ne suis pas sûr qu’on y croit vraiment, c’est un peu une chimère. Alors quand ça arrive… C’est littéralement incroyable.

Mon équipe et moi étions déjà très fiers de cette sélection, alors le Prix… En plus on était tous sur place, c’était fabuleux.

Evidemment, cette reconnaissance donne confiance, ça nous a donné envie de continué à travailler ensemble. Cela nous donne la force d’oser monter des projets, et il est clair que plein de portes sont en train de s’ouvrir pour moi.

Concentration, Communication, Hydratation: une équipe soudée, et radieuse

On a monté une asbl, Phosphore films, avec une partie des membres de l’équipe, pour accompagner nos prochains projets. En finissant L’Enfant Salamandre, on avait envie de retourner très vite, de ne pas rester bloqués dans l’attente, dans ce vide qu’il y a parfois entre l’école, et le début réel de la carrière pour les réalisateurs. On va donc tourner un film fin août que je vais co-réaliser avec la chef opératrice de mon film précédent, Charlotte Muller. C’est un court métrage à nouveau un peu magique et surréaliste, qui parle de l’exaltation du sentiment amoureux à l’adolescence.

Après ça, j’ai des projets de court et de long, mais je ne sais pas encore lequel arrivera en premier. Je crois qu’à la fin du tournage qui arrive, il faudra que je me pose un peu pour faire le point, afin d’envisager sereinement la suite.

Si je devais garder en tête une image de cette aventure cannoise, ce serait celle de l’équipe, de notre unité. C’était un bonheur augmenté de pouvoir partager ces moments avec elles et eux, et notamment mes chefs de poste, N’gare « Chichi » Falise, le chef opérateur, Laureline Maurer la monteuse, Clément Alibert, le directeur de production et Armance Durix, la chef opératrice son.

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