Rencontre avec Anthony Bajon et Sergi Lopez, à propos de « Maldoror »

Alors que Maldoror, le film évènement de Fabrice Du Welz librement inspiré de l’affaire Dutroux sort ce mercredi 22 janvier en Belgique, on a rencontré deux de ses interprètes. Anthony Bajon joue Paul Chartier, jeune gendarme idéaliste plongé au coeur d’une enquête complexe et empêchée qui va le rendre fou, et Sergi Lopez, incarnation du mal, qui joue Marcel Dedieu, alter ego fictif du criminel le plus haï de Belgique.

Anthony-Bajon-We-Love-Cinema

Anthony Bajon

Qu’est-ce qui selon vous figure au coeur du film? 

C’est la manière dont me l’a présenté Fabrice Du Welz: un système qui disjoncte, et comment à l’intérieur de ça, un jeune homme qui n’est pas armé pour va cultiver une véritable obsession et sombrer dans une forme de désespoir, en quête de vérité.

Qui est-il, justement, Paul Chartier?

C’est quasiment un orphelin, son père est en prison, sa soeur est morte et sa mère ne s’est jamais occupé de lui. Il a grandi seul, ne peut compter sur personne, et a un rêve de justice. C’est pour ça que ce qui se passe le touche particulièrement. Au-delà de l’enquête, du fait divers qui devient affaire d’état, ça le touche personnellement, il en fait une obsession.

Qu’est-ce qui va le faire basculer?

Quand il comprend qu’il est esseulé, dans un système ne fonctionne pas. A côté, le mal règne, et court toujours dans tout un pays, personne ne semble rien faire… Ca le rend fou. Il en perd son amour, sa famille, son boulot.

Comment avez-vous préparé le film?

On est allé beaucoup à Charleroi avec Fabrice. Au-delà du travail du corps et du texte, il y avait aussi l’idée de connaître les lieux où l’histoire se déroule, qui sont les gens qui habitent là-bas, quelles sont les odeurs, la météo. Ca a été très formateur pour entrer dans le personnage. J’ai voulu m’éloigner des références, pour constituer quelque chose de neuf dans mon esprit. Même si je sais que Fabrice lui a beaucoup de références pour son film! Moi, j’ai surtout lu beaucoup d’articles, écouté de podcasts sur l’affaire.

Quelle a été la préparation physique?

Il y avait une dualité, mon personnage devait porter un costume trop grand pour lui, métaphoriquement. J’ai l’air très juvénile, c’était déjà un bon début pour trouver ça. Le travail du corps a été particulier, car au début du film, je dois avoir l’air poupon, et à la fin dur et abimé par la vie. J’ai dû me muscler, un peu, en gardant à l’esprit qu’on ne tourne pas tout dans l’ordre.

Quelle a été votre réaction en découvrant le projet?

D’abord, c’était un grand défi pour moi de passer de l’enfance à l’âge adulte. Et puis je suis un grand fan de polar. Et j’ai eu l’impression que le film était beaucoup plus grand que nous tous réunis, par son contexte historique. Quand on a présenté le film pour la première fois en Belgique, nous n’avions tous qu’une seule envie, que les Belges s’y retrouvent, que le film leur parle. Qu’ils ne soient pas déçus.

Comment s’est passé le tournage?

C’était très intéressant, et très naturel, notamment parce qu’on a travaillé avec un certain nombre de comédiens non professionnels, mais avec une très forte personnalité, qui incarnaient les membres de la communauté sicilienne de Charleroi. On leur demandait de dire le texte avec leurs propres mots, parce qu’ils allaient donner une couleur vraie au film. Dans la vraie vie, ils étaient déjà le clan. Ca parlait vite, ça parlait fort, on a beaucoup tourné, jusqu’à ce qu’ils oublient la caméra. Nous les comédiens professionnels, on naviguait là-dedans, en essayant de prendre le pli de ce qu’ils proposaient.

Comment s’est passée la collaboration avec Fabrice Du Welz?

C’est un immense cinéaste, il a un univers très personnel, il ne vit que pour le cinéma, regarde sans cesse des films. Pour chaque film, j’observe dans mon coin, ça me passionne, et sur ce plateau, j’ai l’impression d’avoir énormément appris. Fabrice a un sens du cadre et de la lumière hors norme. Il y a un truc complètement viscéral chez lui. La façon dont Fabrice tient son film est extraordinaire, il est toujours à la limite, toujours sur le fil, un fil qui rétrécit au fur et à mesure du récit, c’est un travail de funambule très réussi.

Sergi-Lopez-We-Love-Cinema

Sergi Lopez

Se sent-on une responsabilité particulière quand on s’attaque à ce sujet et ce personnage?

Je connais l’affaire Dutroux, mais pas en détail comme peuvent la connaître les Belges. Notre espoir en faisant ce film, c’était que malgré le traumatisme, il y ait un film de cinéma. On ne voulait pas de l’anecdotique autour d’un fait divers. Ce n’est pas un fait divers, c’est un fait d’état. Pour moi, c’est une responsabilité que me donne Fabrice Du Welz en me choisissant pour rôle, en prenant un non-Belge, un homme plus âgé, avec un accent catalan. On s’éloigne du biopic. Pour lui, c’était une façon de créer une distance qui permet une certaine pudeur. Surtout, ne pas embellir la violence, ne pas en faire un méchant épique. Ce qui est épique, c’est la quête de Paul Chartier.

Cette distance permet au spectateur de recevoir le film?

Surement, et à moi aussi, pour jouer, j’avais besoin de cette distance. Je n’ai volontairement pas regarder de documentaire. La distance c’est toujours bien pour un comédien. J’avais un prof de théâtre qui me disait: « la chose la plus difficile à jouer, c’est toi-même. » Je trouve qu’en tant qu’acteur, on n’a pas besoin d’adhérer à nos personnages, mais cette distance était importante.

Marcel Dedieu, c’est l’humanité du mal, un sujet de fiction intemporel. 

Fabrice me disait toujours: c’est le diable. Mais le diable, c’est un concept. Pour lui, il ne fallait pas justifier ses actes, il fallait incarner un mal complètement gratuit. Mon accent, le fait que je sois étranger, finalement ça rend le personnage plus universel. Et donc, plus proche du diable. Le plus terrifiant, c’est la normalité du quotidien. Quand j’ai vu le film, Marcel Dedieu qui descend l’escalier de sa cave, c’est le diable qui descend en enfer. Mais sur le plateau, j’ai juste descendu un escalier.

L’acteur donne un corps au concept.

Oui, on rend de l’humanité au concept. Dedieu, c’est un mammifère, finalement. On tourne séquence après séquence. Je joue un gars qui fait une omelette. Un gars qui marche. Un gars qui descend un escalier. On sait d’où il vient, où il va. Mais pour moi, c’est une succession de petits gestes. Quand je joue, j’essaie de ne pas trop penser le personnage. Et je suis les directives du réalisateur. Si tu penses trop, tu es dans la merde. C’est pas toi, Marcel Dedieu, et puis de toutes façons, il n’existe pas, c’est un personnage. Il y a l’idée du jeu, il ne faut pas être trop cérébral, c’est plus intuitif pour moi. Et puis il y a les partenaires, les décors, les costumes, ça te met dans la peau du personnage. Tout ce béton, cette ferraille, on sent que l’humain est écrasé par le décor, ça déjà, ça te hante. Moi, ça m’habite, après, il n’y a plus qu’à le faire vivre. Je mets les habits, je lis le texte, je fais bouger Marcel Dedieu. Je ne suis pas Marcel Dedieu.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans la façon de travailler de Fabrice Du Welz?

Le plus remarquable pour moi, même si cela ne m’a pas surpris, c’est que Fabrice est possédé par son film. Et ce n’est pas toujours comme ça. J’ai l’impression que ça l’empêche de dormir. C’est un vrai cinéaste, à la fois torturé par le film qu’il fait, et rempli de joie de faire le film. Sur le tournage, il est toujours debout, fébrile. On sent sa passion. Et en tant que comédien, on a besoin de quelqu’un pour nous aider à croire. Mon métier, c’est de croire à un truc impossible, parce que je ne m’appelle pas Marcel. Et Fabrice, je savais qu’il n’allait jamais me lâcher, il est là dans tous les plans, même après 7 prises il a encore des choses à te dire. Il est en ébullition.

Check Also

« Demain, si tout va bien »: road-trip en famille

Avec Demain, si tout va bien, Ivan Goldschmidt livre un road-movie drôle et émouvant sur …