Programme chargé pour le Brussels Art Film Festival

Le BAFF, ou Brussels Art Film Festival, se tiendra du 10 au 14 novembre prochain à Bruxelles, à Bozar, à la Cinematek et au Palace.

Le BAFF propose une compétition nationale de documentaires sur l’art en lien avec la Belgique, des films internationaux hors compétition, des séances jeune public, et des rencontres. La Belgique a toujours été pionnière en ce qui concerne le film sur l’art et l’avant-garde cinématographique. Sa présence dans les festivals internationaux spécialisés en est la preuve et le nombre de productions (aux alentours de 90 par an) est caractéristique de l’intérêt porté par les cinéastes à l’égard de leurs artistes et de l’art en général. Le BAFF permet de faire le tour de la production artistique et cinématographique en Belgique en présentant des films sur l’art, pour la plupart inédit, issus des deux communautés.

Le festival ouvrira avec le film norvégien The Painter and the Thief, de Benjamin Ree, fascinante rencontre entre une peintre, et l’un des hommes qui a dérobé ses oeuvres, auquel elle propose de devenir son modèle. Il se clôturera avec Etre Jérôme Bel, portrait d’un chorégraphe qui vire au hijacking cinématographique quand l’objet du portrait décide d’en devenir le sujet.

Focus sur les films en compétition

  • Bakolo Music International de Tom Vantorre & Benjamin Viré

Le groupe de rumba congolaise, Bakolo Music International, vient de fêter ses 70 ans. Pressés par le temps, et motivés comme jamais, les vieux musiciens se sont remis au travail et ont retrouvé le chemin des studios pour y enregistrer de nouveaux morceaux. Bikunda, le leader du groupe, a accompagné durant des années Papa Wendo, le père de la rumba kinoise, en Afrique, en Europe, au Canada et dans dix-sept États américains lors de grandes tournées internationales. Et la toute dernière, à bientôt 80 ans pour certains, c’est maintenant ou jamais. Quoi qu’il arrive dans ce périple que la caméra va suivre de bout en bout, les musiciens de Bakolo Music International vont continuer à jouer leur musique, jusqu’à ce que leur dernier mouvement soit un accord de guitare, leur dernier souffle un phrasé de saxophone et leur dernier pas, un pas de danse.

  • Bare d’Aleksandr Vinogradov

Alors que notre rapport au corps de l’autre a sérieusement été éprouvé depuis plus d’un an, alors que la proximité est devenue un problème essentiel, le documentaire du cinéaste Aleksandr Vinogradov, Bare, nous plonge dans le monde d’avant d’une manière radicale et déconcertante. En suivant le processus de création du spectacle du chorégraphe belge Thierry Smits intitulé Anima Ardens, le cinéaste filme les corps nus au plus près, sans artifices ou faux-semblants, comme les derniers espaces de liberté. Invité dès le départ de cette aventure auprès de l’artiste belge, Aleksandr Vinogradov suit donc chacune des étapes : le casting, les terribles éliminations, le travail quotidien, les pauses clopes, les doutes, les remises en question, les douches, jusqu’au moment où, enfin, le spectacle pourra voir le jour.

  • In A Silent Way de Gwenaël Breës

Fan du groupe Talk Talk aujourd’hui disparu, Gwenaël Breës embarque son équipe de tournage sur les côtes anglaises, à la recherche de son très charismatique et énigmatique chanteur Mark Hollis. Un leader si mystérieux que le cinéaste va devoir se glisser, avec beaucoup d’innocence et une bonne dose d’inventivité, dans la longue et belle lignée du film impossible, ce genre si périlleux où l’artiste recherché se dérobe sans cesse. Et c’est avec l’énergie du désespoir que ce journal filmé se tisse entre documentaire et fiction, frontal, burlesque et volontairement anti-spectaculaire. Au fil de cette narration presque lascive, construite sur des boucles rythmiques lancinantes, c’est un rêve d’enfant qui se raconte, un autoportrait à la recherche d’un personnage flottant, évaporé, fantomatique qui résonne joliment longtemps après l’avoir entendu.

  • Martin Margiela In His Own Words de Reiner Holzemer

Le célèbre couturier Martin Margiela a construit une image sans visage, une silhouette sans corps, une marque sans logo dont le seul signe distinctif est devenu culte : quatre petits points blancs cousus sur le vêtement. No name. Nothing. Alors qu’il refuse interviews, photos officielles et saluts à la fin des défilés, le créateur a accepté ici de prendre la parole (mais en ne montrant que ses mains) et nous guide à travers ses collections. Il revient sur son parcours depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, sur ce qui l’a poussé à fonder la Maison Martin Margiela et, après vingt ans et quarante-et-une collections révolutionnaires, exténué et dégoûté, sur ce qui l’a conduit à quitter le monde de la mode. En silence. Sans annonce publique. Mêlée aux témoignages de proches et à une musique originale signée dEUS, la voix off de Margiela révèle les merveilles et turpitudes de la création, et sous l’objectif de la caméra, une fois encore, ce sont ses mains qui font.

  • Don’t Rush d’Elise Florenty & Marcel Türkowsky

Trois jeunes hommes se réunissent une nuit d’été pour émettre d’une chambre un programme radio consacré aux chansons de rebetiko, ces chansons grecques du début du XXe siècle qui vantent les effets du Haschich, pleurent les amours perdues, les douleurs de l’exode et exhortent à la liberté… Peu à peu, la contre-culture d’hier, faite d’exils, de pauvreté et de violence vient faire écho aux soubresauts d’aujourd’hui. Se crée alors, doucement, entre les chanteurs et les hommes présents, une communauté d’expériences, mais aussi d’épreuves. En nous plongeant dans une forme d’écoute attentive et flottante, le film met en partage non seulement la musique, mais aussi l’expérience unique qui la constitue : celle de faire surgir un monde disparu dont les échos nous parviennent encore ; des êtres qui s’actualisent dans le présent et dont l’existence se prolonge par la grâce de celles et ceux qui, en les écoutant, les ramènent à la vie.

  • Zénon l’insoumis de Françoise Levie

Zénon, philosophe, médecin, alchimiste, inventeur du XVIe siècle est le héros fictif de L’Œuvre au noir, le célèbre roman de Marguerite Yourcenar, paru en 1968. Vingt ans après sa parution, le cinéaste belge André Delvaux décide de l’adapter au cinéma et de donner à Zénon le corps de l’acteur Gian Maria Volontè… Commence alors une passionnante correspondance entre l’écrivaine installée aux États-Unis et le réalisateur pour appréhender ce personnage fascinant qui refuse d’obéir à son époque. Que représente pour nous aujourd’hui Zénon et son insoumission ? La cinéaste Françoise Levie nous le fait découvrir à travers la correspondance lue par Marie-Christine Barrault et l’enquête menée de Bruges à Montpellier, de Bruxelles à Rome par le comédien Johan Leysen.

  • Cezanne de Sophie Bruneau

Sophie Bruneau, accompagnée à la caméra par la photographe Marie-Françoise Plissart, s’est installée pour un temps dans l’atelier de Cézanne dit atelier des Lauves. Cette bastide assez modeste située à Aix-en-Provence lui servit d’atelier entre 1901 et 1906, c’est-à-dire la dernière partie de sa vie. Cézanne travaille tous les matins dans ce grand espace baigné de lumière et de silence, parmi les objets qui lui sont chers. Trois êtres à présent se sont fait les gardiennes du lieu. Elles époussettent, désinfectent, accueillent et guident les visiteurs et les visiteuses… parfois elles restent là, présences tutélaires et paisibles comme imprégnées par l’atmosphère sensible qui se dégage du lieu. C’est que des fantômes rôdent et que l’invisible chuchote entre ces murs. Comme dans un tableau avec des pommes qui ne sont pas à croquer mais qui nous engloutissent, nous absorbent lentement dans le silence de la matière et dans la force des choses, le film lui aussi nous absorbe, nous fait entrer dans un état de contemplation muette où la lumière et les formes ont triomphé.

  • Phèdre ou l’explosion des corps confinés de Méryl Fortunat-Rossi

Ils sont comédiens et comédiennes, danseurs, danseuses et chorégraphes, elle est metteuse en scène. Dans une salle de répétition, ces artistes travaillent sur la tragédie Phèdre, écrite par Jean Racine en 1677, et qui devrait être montrée au Théâtre des Martyrs, à Bruxelles. Sauf que… nous sommes en mars 2021. Ils sont comédiens et comédiennes, danseurs, danseuses et chorégraphe, elle est metteuse en scène. Ensemble, ces artistes essaient de monter Phèdre, une pièce sur un mal invisible… Au gré des confinements, déconfinements, ouverture, annulation, espoir, avis divergents, les artistes aux nerfs de plus en plus éprouvés se retrouvent ensemble autour d’un projet qui, peu à peu, semble leur échapper. Dans un monde qui, déjà, a perdu ses couleurs, il va être question de mettre en mots, en corps, en espace et en voix, toutes les blessures. (voir notre article)

Phedre-Meryl-Fortunat-Rossi

  • Wild Gene de Joris Gijsen

L’artiste belge Koen Vanmechelen touche à tous les médiums artistiques jusqu’au vivant qu’il manipule à l’envi. À Genk, sur le site d’une ancienne mine convertie en zoo jusque dans les années 1990, il a construit “Labiomista”: un parc animalier, un lieu d’exposition et son studio, qui a ouvert ses portes au public en juillet 2019. Depuis, il y développe un projet fou, entrepris il y a de cela deux décennies et dont le sujet et protagoniste central se trouve être… la poule. À moins que ce ne soit l’œuf, éternel dilemme. Wild Gene conduit à des réflexions stimulantes sur ce que signifie la domestication et l’ensauvagement d’une espèce, ainsi que sur le gain des croisements génétiques. Il s’interroge aussi sur le rôle démiurgique de l’humain, rôle que l’artiste lui-même – qui est ici de tous les plans et de tous les discours – ne paraît pas détester.

  • Juste un mouvement de Vincent Meessen

Juste un mouvement revisite l’héritage colonial occidental et le met en relation avec l’histoire des mouvements d’avant-garde et d’indépendance du XXe siècle, mais aussi de la stratégie chinoise actuelle menée en Afrique. Au centre de ce film, une figure charismatique, le jeune philosophe sénégalais Omar Blondin Diop, révolutionnaire, acteur chez Godard, militant maoïste, mort dans une prison sous Léopold Sédar Senghor à l’âge de 26 ans. Cette vie, le film nous la dévoile peu à peu avec à l’appui des images d’archives, les extraits du film de Godard, et les témoignages de celles et ceux qui ont aimé et soutenu ce jeune homme. Pour autant, le film ne se résume pas à une biographie avec interviews et montage d’archives, car pour le cinéaste, raconter cette histoire sert surtout ici à ré-évaluer son potentiel politique actuel.

  • L’Homme qui de Yuki Okumura

Ils sont neuf. De dos. Collectionneurs, artistes, commissaires d’exposition, ils l’ont tous un jour rencontré là, ici, ailleurs. Qui ? L’homme qui… À travers les souvenirs subjectifs de ces neuf personnes dont nous ne verrons jamais les visages, L’homme qui révèle la vie de cet être sans nom – de toute évidence un artiste conceptuel de renom, à moins qu’il ne s’agisse d’un fantasme –, qui semble avoir développé une pratique très stoïque faite d’absence, d’anonymat, de traces et qui a cultivé le secret. Grâce à son procédé extrêmement radical qui semble faire écho à la pratique même de la figure ici évoquée, Yuki Okumura parle directement à l’imaginaire du spectateur et joue avec ce que le discours cache, suggère et dévoile. Le film échappe ainsi à la biographie, et nous fait entrer plus intimement dans un parcours de vie qui devient autant une réflexion philosophique qu’une mise en partage d’un rapport au réel. Mais qui est donc cet “homme qui”… ?

Egalement en compétition, les courts métrages: Murmur de Jan Locus & Stijn Demeulenaere, Over The Top de Justine Cappelle, Opus de Pauline Pastry, Eden de Jeroen Broeckx et Son chant de Vivian Ostovsky.

 

 

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